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Sur une route de Roumanie, en direction d’Oradea

« soudain, en face de nous, un convoi de Tziganes a surgi du néant lumineux des rayons dorés du soleil. Quatre roulottes attelées à des chevaux efflanqués, couvertes d’une bâche trouée et effilochée, sur lesquelles pendouillaient divers objets (...) Ils arrivaient d’une époque révolue où les gens avaient besoin de moins de choses qu’aujourd’hui et ils essayaient de vivre dans le présent, mais en fait, ils le laissaient s’écouler à côté d’eux. Ils y voyaient probablement un élément naturel qu’on peut utiliser comme, disons, le feu pour faire la cuisine ou l’eau pour se laver. Des enfants se sont approchés de la voiture, je leur ai distribué mes restes de friandises, de biscuits, de chips etc. Je voyais et je sentais qu’ils me considéraient avec indifférence et pragmatisme. La voiture, les appareils de Piotr, notre présence, tout cela constituait à leurs yeux un phénomène parfaitement naturel - au sens de la nature qu’on peut exploiter. D’une manière paradoxale, ils nous rendaient la monnaie de notre pièce. Nous réduisions leur humanité à un spectacle exotique, eux réduisaient la nôtre à l’économie de leur subsistance. » 1

 
Telles deux images, Sade et les Tsiganes, surgissent ici d’un bout du temps à l’autre, images récurrentes qui ne sont pas l’objet, ici, d’une étude particulière sur l’un et sur les autres, mais un regard jeté sur le temps, le nôtre. Le temps, ses représentations, et celles de l’amour, la vie, la mort, leur mise hors-la-loi, et la modernité ? Une idée ancienne et nouvelle, comme la démocratie. Un regard jeté sur l’opposition entre l’individu et la communauté qui a donné naissance à cet individualisme et au délitement social, dont on voit le poison, plus encore sous l’éclatement et la mutation du collectivisme -la représentation abâtardie de communauté- dans le capitalisme moderne en unité de travail autre : l’absence de toute solidarité, le suicide pour fuir cette solitude. Questions sur les pièges du temps, ceux qui nous guettent tous, où cette pensée qui n’hésite pas à se défaire de sa singularité sous les pressions des évènements, et rares sont ceux, qui, au fil du temps et de l’histoire, ont su résister, résister aux pressions dont on pourrait dire que la grandeur, des Tsiganes et d’un Sade, est plus dans l’amour de soi, de la communauté, que de se perdre au nom de l’histoire ou se perdre dans les évènements. De soutenir la communauté pour les Tsiganes, soutenir l’histoire et la transformation sociale, sans nier le réel, ni donc aussi la part meurtrière ou perverse de l’homme. C’est-à-dire, la question du rapport de violence et de domination dans tout pouvoir, du maître à l’esclave, du propriétaire, du chef d’État ou de société au citoyen et producteur, du chef de famille à sa femme et à ses enfants etc, qui peut s’exprimer ainsi : Mes désirs sont tes besoins.
  • 1. Andrzej Stasiuk, Fado, édition française Christian Bourgois. 2009
Publié le 20/11/2009 par L'Achèvement