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Catastrophe : bouleversement, dénouement, dernier et principal événement d’un poème ou d’une tragédie

A- Une civilisation ne s’écroule pas comme un édifice, on dirait beaucoup plus exactement qu’elle se vide peu à peu de sa substance jusqu’à ce qu’il n’en reste plus que l’écorce.
Georges Bernanos. La France contre les robots. III

B- Assurément, notre modernité est très vieille.
Annie Le Brun. Les châteaux de la subversion

Ensor aux masques, 1899

“Pas d’individu qui ne soit parcelle transitoire de l’univers biologique en même temps qu’à lui seul tout un monde. Pas de présence charnelle qui n’apparaisse comme déjà rongée par la future absence. Pas d’homme ni de femme dont le sort ne soit, qu’ils en aient une conscience précise ou non, un mariage du ciel et de l’enfer. Pour qui l’applique aux êtres humains et le pousse à l’extrême, le réalisme pourrait-il déboucher sur autre chose que la tragédie ?” 1

La crise qu’est l’économie, « n’est pas une interruption temporaire qui vient troubler le fonctionnement “normal” du capitalisme. Elle constitue plutôt sa vérité », rappelle Anselm Jappe.2 Mais cette crise double et occulte cette réalité qu’elle usurpe, soit l’usure et la transformation inévitable de toute chose c’est-à-dire : crise de la représentation. Cette force naturelle dont on parle peu et qui clandestinement poursuit la décomposition des valeurs dominantes en creusant un vide désastreux. Cette crise doublée de l’économie, sans autre transformation que celle négative des rapports sociaux et des conditions de la vie elle-même, égare tout sens logique et pervertit tout refus, les contradictions qui en naissent semblent ne plus pouvoir être démêlées les une des autres. Ce modèle de valeur imposé aux environs du 13e siècle, prétendait déjà contraindre l’homme et la nature pour les dominer, avec le renforcement théologique et politique de l’Église et de l’État moderne centraliste et unificateur, le travail comme valeur et centre de l’activité humaine. Un seul modèle domina sur toutes autres formes de société, de pensée, de morale, et s’opposa à la représentation de l’individu naissant, avec

l’apparition du sujet dans le roman, la poésie et l’histoire des Saints. Le monde se transformait, le droit oral coutumier faisait place au renouveau du droit romain, écrit. Entre 1130 et 1250, ou environ, que s’était-il donc passé, questionne Marc Bloch, « rien de moins que la transformation du droit à l’adoubement en un privilège héréditaire. 3 » La noblesse se transmet par le droit du sang et constitue ainsi une classe privilégiée. Marc Bloch indique aussi que cette époque « ne vit pas seulement se former les États. Elle vit aussi se confirmer ou se constituer (...) les patries. 4 » Transformation du droit, donc des mœurs et de la morale -le mariage contre l’amour courtois-, un grand besoin de sécurité et d’ordre tant politique qu’économique avec le renouvellement des villes et la constitution d’une puissante bourgeoisie. La démocratie cathare fut exterminée, le monde nomade en Europe et dans le monde, vers le 15e siècle vit sa progressive puis rapide condamnation à disparaître par de violentes contraintes coercitives, nous y reviendrons plus loin. Ils n’ont pas seuls été condamnés, mais aussi la modernité et son mouvement arrêtés en plein vol, condamnés à l’inertie des choses désarrimées, tant la démocratie bourgeoise va à l’encontre de la singularité, s’éloigne de l’individu pour disparaître dans les masses et les choses.

La démocratie n’est pas née avec l’avènement de la bourgeoisie et du capitalisme. Elle contient une histoire ancienne et moderne, spontanée et sauvage, de désir et de conscience des dominés à accéder à leur tour à de véritables prises de décisions, une véritable conquête de la vie, du temps vécu. Lors de la Révolution de 1789, les hauts membres de la bourgeoisie ont tout fait pour restreindre ce désir de démocratie, qui est un moyen, non pas le but, à l’accession de l’emploi du temps vécu, y voyant une menace qui remettrait en cause leurs privilèges et pouvoirs héréditaires, et la remise en cause des rapports de classes établis par l’État. Cette réaction usurpa l’organisation des affaires humaines et la proclamation de droits naturels imprescriptibles de l’homme en matière de libertés individuelles, de conscience et d’expression, de presse, de circulation, qui furent la base de l’émancipation de l’homme. Base émancipatrice et universelle qui n’a pas cessé d’être prise au mot durant tout le 19e siècle et dans le monde au 20e siècle, sous les poussées irrésistibles d’élargir ces principes minimums inaugurés en 1789, d’en conquérir de nouveaux, dont ceux mêmes développés par Sade et abandonnés par les révolutionnaires de 1789. Aujourd’hui sous scellés, liberté-égalité-fraternité sont depuis, le résultat de la confiscation, des concepts vides de sens qui ne représentent plus rien, comme démocratie, singularité, individu, communauté, sont d’autant d’appellations qui ne servent plus qu’à couvrir l’absence ou la falsification de ce qu’elles montrent.

L’œuvre singulière, individuelle et collective, n’en est pas moins poursuivie, même dans un monde qui, plus grotesque chaque jour, ferait presque envier du coup le jour passé, « dans la nature l’homme n’est-il point, par excellence, la grande variable ? 5 », questionne Marc Bloch dans un moment où « la France vaincue, prostrée dans la défaite, dans l’Occupation et dans l’infamie vichyssoise. 6 » De la barbarie aussi. Nous en sommes toujours là, en perpétuelle et indépassable crise battue par le mouvement des machines et des technologies, qui se traduit en révoltes, autant vraies dans les événements d’Athènes de 2008, que dans l’insoumission de l’outre-mer français, en particulier la Guadeloupe, et l’été Iranien. Et où toute représentation politique apparaît partout pour ce qu’elle est, une fiction, comme le sont l’actualité et les informations en général qui renouvellent généreusement l’hallucination collective. Par contre, les conséquences sont bien matérielles et partout on s’en révolte, malgré et avec et par une dépolitisation profonde. La réalité qui s’en est matérialisée est absolument négative, le retour du « devenir image du capital » est une image de sa propre négation.

Cette crise devrait se traduire par une prise de décision.

Crise des valeurs, celles qui ont fondé cette société : politique, famille, mariage, travail, argent, esthétique etc., etc., mais avec ces nouveautés : ville, science, écologie et l’Internet qui n’a lui aussi sa problématique insoluble dans la modernité-machine où partage = surveillance, don = travail, vrai = faux, information = divertissement. « Ce mode de communication n’étant en fait qu’un instrument particulièrement adapté à une entreprise visant à la maîtrise rationnelle de ce qui en chacun de nous résiste encore à ce projet de domination totale. Non seulement parce que tout doit devenir matière à marchandise », dit Annie Le Brun. 7 Les nouveaux normatifs de la marchandisation sont à l’image terrible de la stérilisation du vivant, et donc du refus, qui dans l’espace-temps d’une saison médiatico-policière, tel un organisme génétiquement modifié se répand par contamination en organisme de désinformation. Et peu importe si l’on voit les ficelles et qui les tire, peu importe que le lien justice-police-affaire soit visible. Peu importe que l’on puisse se révolter dans l’instant où le désespoir, le mal de vivre, rencontrent le mur du vide de sens de toutes révoltes, et tout refus sans projet, sans lien. Le principal est d’y croire ou de ne rien dire des mécanismes où l’on change d’une heure à l’autre d’avis ou la version des faits, ou les faits eux-mêmes, le sens des mots, des idées et l’histoire. Georges Orwell dans La ferme des animaux l’énonce simplement : « quand se fut apaisée la terreur causée par les exécutions, certains animaux se rappelèrent (...) ce qu’enjoignait le Sixième Commandement : Nul animal ne tuera un autre animal. (...), on trouvait que les exécutions s’accordaient mal avec l’énoncé. Douce demanda (...) de lui lire le Sixième Commandement (...). Ça disait : Nul animal ne tuera un autre animal sans raison valable. Ces trois derniers mots, les animaux, pour une raison ou l’autre, ne se les rappelaient pas, mais ils virent bien que le sixième Commandement n’avait pas été violé. 8 » Dans Apologie pour l’histoire Marc Bloch écrivait, peu de temps avant d’être fusillé le 16 juin 1944 : « parmi nos conseillers ou qui voudraient l’être, ont déjà répondu. (...) Les plus indulgents ont dit : l’histoire est sans profit comme sans solidité. D’autres dont la sévérité ne s’embarrasse pas de demi-mesures : elle est pernicieuse. “Le produit le plus dangereux que la chimie de l’intelligence ait élaboré”. 9 »

Une crise fit éclater Rome en de multiples et minuscules royaumes guerriers. Et celle qui au 18e siècle révéla le vide du ciel et le pouvoir terrestre exsangue et la loi esthétique des Beaux-Arts qui devait bâillonner éternellement l’imaginaire. Finalement l’éternel s’avéra avoir une fin. Or, aujourd’hui il s’agit bien d’une telle crise où ont été détournés et le sens et la réalité en surinformant pour mieux séparer, être sans pouvoir et bloquer toute issue. Le ciel marchand est sans promesse, le répertoire esthétique de la servitude volontaire est un tas de ruines déguisées en constructions rationnelles, les forêts abattues sont autant d’idées gisantes comme des cadavres, de théories fracassées. Un désastre devant lequel notre époque toute entière reste désemparée. Contre-révolutionnaire, réactionnaire et conservateur, même ceux-là doivent se fondre dans les brumes afin que soit oublié qu’il y eut autre chose, autres aventures, des tentatives et des réussites d’émancipations et de belles folies. Et les Gitans, dont nous parlerons plus loin, leur passion violente et leur théâtralité dans leur cante noir, 10 la beauté terrible du flamenco, la raison même de ce chant noir né, et ce n’est pas dû au hasard, au temps de Sade. Que l’homme fut passionné, parfois violemment, passion retournée par l’Église et les marchands pour en assujettir l’homme et ses mauvais penchants.

Variété, diversité, différence disparaissent dans le normatif d’un formidable modérateur et rationaliste monde, plus efficace que ses tendances totalitaires, mais qui ensemble mirent les passions à la torture tout au long de l’histoire des persécutions. Reste que, on cherche à brouiller les pistes. Lors de la Gay pride de Lyon, en juin 2009, une voiture de police, drapeaux arc-en-ciel et deux policiers en tenue défilaient aussi contre l’homophobie. Au village planétaire on ne dénonce plus les valeurs fondatrices, inséparables de cette violence, on intègre le sensible et le désespoir décapés par la chimie élaborée par l’« intelligence » artificielle, afin que s’oublie dans le consensus que « l’imaginaire a toujours partie liée avec le désespoir ». 11 Les chemins sont plus imprévisibles qu’on voudrait nous le faire croire, d’autant que le consensus partout ne tient que par la force des matraques et des fusils, ce qui veut dire qu’il y a plus vacuité que consensus.

Un enfant de trois ans est arrêté puis expulsé pour ne pas avoir de papiers. Un autre à dix ans arrêté avec son frère, qui n’avait pas plus de six ans, à la sortie de l’école pour avoir emprunté un vélo. Ainsi, déserteur et brigand dès la petite enfance. Contre ce « terrorisme » là, l’héroïque terreur. Dans un article du Monde, paru le 24 juin 2009, sur le projet de loi sur les bandes, on lit que « le fait de participer, en connaissance de cause, à un groupement, même formé de façon temporaire, qui poursuit le but, caractérisé par un ou plusieurs faits matériels, de commettre des violences volontaires ou des destructions ou dégradations de biens, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. » Désormais, écrit-on dans le même article, « on ne poursuit plus la culpabilité mais sur le seul critère de la dangerosité -l’internement de sûreté a été introduit en Allemagne par une loi de 1933- ». Cette règle, ne prévoyant aucun antidote, gouverne en misant tout sur la prolifération de groupes et de sous-groupes de surveillants et des techniques de surveillances, l’un palliant les défaillances de l’autre. La machine police est l’autre réalité du vaste dispositif au sein du nouveau réalisme, une farce fictionnelle (post-soviétique, post-maoïste et néo-libérale) dont le seul but est d’aller éternel, de se refléter sa victorieuse et unique présence, sans jamais trouver d’obstacle, ni aucune force contradictoire. Sans autre projet que sa propre continuation, quels qu’en soient les excès et les conséquences d’une modernité confisquée où la farce est devenue le maître incontesté du monde, qui n’a réussi qu’à en faire sa prison qu’il gère, justifie ou nie, de la même manière que son corps est sa prison.

La nouvelle star H1N1 de la grippe A est promulguée en France secret défense pour la rendre plus désirable, ce qui veut dire terrifiante et invérifiable, un divertissant film catastrophe. Au Havre après Nantes, on empile les containers les uns sur les autres. Ces boîtes métalliques peuvent en urgence accueillir les sans-abri et les étudiants. Ces containers trouvent peu à peu leur place dans les résidences hôtelières ou le logement collectif. Dans tous les cas on s’habille écologique, la der des ders des valeurs. Ce négatif retourné en camisole idéologique et manne financière est taxé, comme les jeux, le tabac, l’alcool et la pornographie, dans la démocratie en trompe l’œil qui a assujetti la singularité pour le consensuel « consommateur conscient » du parti Vert européen, tel un Cohn-Bendit ou un Bové. Où le Nouveau Parti Anticapitaliste apparaît presque moderne en dernier palier convenable à la société marchande. Le N.P.A. qui voudrait conquérir l’Etat, la production et l’argent, pour les administrer démocratiquement, « je ne suis pas celui de la politique du pire » déclara Besancenot à la radio. Un changement d’éclairage, celui-ci tamisé, car la canalisation de la révolte est un rapport mécanique envers l’État, auquel il est vrai, on ne demande plus de vivre, le sens s’est perdu, mais du « pouvoir d’achat », soit survivre sans aucun pouvoir ni aucune liberté individuelle.

Si ceux-là et les autres politiques érodés jusqu’à la moelle avaient encore une crédibilité, quand chaque élection démontre que personne n’y croit à ce raisonnable usé, envahi d’ondes radar, télévision, téléphone portable, micro-onde, d’appareils et d’instruments. Et même si l’homme se laisse aller à l’hallucination collective, et a couramment la faiblesse de croire que ce qu’il trouve est nouveau, que ce qu’il voit est vrai, authentique, opposé à faux, illusoire ou mensonger. Mais à tout instant la réalité cruelle rappelle qu’il n’y a rien de prometteur dans ce trop plein de mensonger qui court après le mensonge, et qu’un grandissant trouble fait apparaître de derrière le décor des ruines de toutes parts. Il n’y a d’ancrage ni dans les partis, ni dans les urnes, ni au bureau ou à l’usine, ni dans le monde qui s’est fait pour tâche d’être un pseudo monde sans lien entre les choses et les individus, ni entre les mots et les idées. Le délitement social ou la séparation comme moyen et fin de la communication. Ce constat qui apparaît absolument négatif n’empêche pas, comme la situation est mondialisée, les révoltes sur toute l’étendue de la planète, même si elles sont attachées aux structures du monde qui les fait naître. Reste que c’est un monde qui est en train d’échapper à lui-même, par sa propre inintelligibilité qu’illustre la dite affaire de Tarnac, qui a atteint un sommet pathologique de la bouffonnerie. Reste un immense vide où les questionnements ont commencé sur le décor de toutes ses ruines.

Cette peste de machine à fabriquer la victime, dont on ne peut penser ni agir hors des forces qui la forment et l’informent, et qui dans de telles conditions, démunie de tout, toute opposition n’est pas seulement impossible mais impensable, et le sensible mystifié est écrasé moins par la toute-puissance des technologies que par la collusion de la technique médiatico-gouvernementale. Une machine qui sépare, éloigne et prive de tout pouvoir de négation. Il s’agit bien de cela, le sensible, dont le crime contre lui a commencé il y a deux siècles. Cette censure criminelle a trouvé toute sa place et s’est développée par et dans le capitalisme. Malgré tout, le sensible et la révolte, ce courage, ne sont pas l’absent, c’est ce qui relie l’un l’autre. Et l’État, en Iran ou ailleurs, ne l’ignore pas, et plus encore en période de crise. Aucune transformation sociale ne saurait surgir sans un puissant sentiment de révolte et d’injustice, ni aucune révolte sans le sensible, ce qu’illustrent les révoltes grecques de décembre 2008, et si la contestation iranienne a tant impressionné, elle aussi, c’est qu’elle a dépassé le mystificateur cadre électoral, pour s’élargir à l’existence infecte du pouvoir théocratique, à sa légitimité et ses fondements centraux qui gouvernent. Mais ce qui a été tu, est que durant tout le temps préélectoral et après, se multiplièrent les débats, des échanges d’idées dans la rue et par l’Internet. Car il faut taire, ici comme ailleurs que le refus pour prendre son élan s’incarne dans la forme élémentaire du dialogue permanent, qui constitue concrètement la matière même des liens, et est déjà du changement, qui comme la démocratie, n’est pas un but mais un moyen d’accès à vivre, d’en donner du sens, de la reconnaissance de l’autre.

Le négatif présent, multiple et non représenté, est au centre de ses propres rêves, une subjectivité sensible ancienne et nouvelle, il est ce contre qui, partout, s’applique systématiquement la répression qui tombe sur tout ce qui représente du négatif même fragile, de la petite enfance aux sans papiers et sans logis aux malades mentaux et sur tout ce qui semble ou qui fait lien, poésie, philosophie, histoire, amitié, communauté, etc,. Sur ceux qui expérimentent d’autres voies, d’autres pratiques détachées de toute servitude, d’Oaxaca aux jardins sauvages dans les rues d’Athènes (que la police chaque nuit tente de reprendre et de détruire). Cette réalité là, celle qui et parce qu’elle ne se représente pas aux yeux médiatico-politiques, la première des répressions est de lui donner une identité aussi fausse qu’absurde pour alimenter la machine contre le singulier.
 

Bellmer, maquette pour "les jeux de la poupée" 1938
 
Mais cette machine victime-bourreau est aussi relayée par chacun, tel un reflex automatique où la victime devient bourreau et le bourreau la victime. Une machine de perversion dans un monde privé de réalité ou qui refuse à ce point la réalité ou ce trop de réalité dont parle Annie Le Brun. Victime-bourreau dans l’homme qui forme tous les appuis à la machine contre l’individu, et pire un renoncement de soi, ce sacrifice de la vie édifié par les religions, relayé par les idéologies, car « c’est que, quand on a peur, on cesse de raisonner (...), quand la cervelle est troublée, on croit tout et n’examine rien. (...) L’homme a peur dans les ténèbres, tant au physique qu’au moral ; la peur devient habituelle en lui et se change en besoin : il croirait qu’il lui manque quelque chose s’il n’avait plus rien à espérer ou à craindre », dit Sade dans Français, encore un effort si vous voulez être républicains.

Cesser d’être victime, c’est cesser d’être bourreau. La plus puissante des révoltes, la seule réalité désespérante ranime le retour du sujet et de ses passions, rétablissant « dans un éclair que l’imaginaire a toujours partie liée avec le désespoir ». 12 A la charnière des 18-19e siècles, ceci fut vrai pour Sade et les Gitans, c’est encore vrai pour notre présent, chaque période de crise a ses secrètes bottes, multiples et singulières, « car imaginée ou réelle, la catastrophe possède la force prodigieuse de surgir comme l’objectivation de ce qui nous dépasse. C’est même de se déployer en arc-boutant entre le réel et l’imaginaire qu’elle continue de nous attirer comme une des plus belles échappées de l’esprit humain. » 13 En finir avec la globalisation de la peur, en finir avec la machine, ce rapport entretenu par tous, bourreau-victime, victime-bourreau, qui sépare et gouverne nos instincts, nos pensées et nos vies. Une machine qui gouverne notre imaginaire et qui fonde les misères et les servitudes d’une société et tous les despotismes inhérents à l’homme.

Le flamenco, cette poésie noire de la modernité sur un mode archaïque, est à l’opposé du divertissement, tout comme la modernité de Sade est à l’opposée de la pornographie ou de la littérature.

Ni l’espoir frivole d’un monde meilleur ni la crainte de plus grands maux, Sade.

Lyon, Juin-juillet 2009

  • 1. Michel Leiris, Francis Bacon, face et profil. Albin Michel. 2004.
  • 2. Anselm Jappe. Les aventures de la marchandise. Pour une nouvelle critique de la valeur. Éditions Denoël.
  • 3. Marc Bloch, La société féodale. Éditions Albin Michel.
  • 4. Marc Bloch. Ibid.
  • 5. Marc Bloch, Apologie pour l’histoire ou métier d’historien. Éditions Armand Colin.
  • 6. Marc Bloch. Ibid, préface de Jacques Le Goff.
  • 7. Annie Le Brun, Du trop de réalité. Folio essais. 2004.
  • 8. Georges Orwell, La ferme des animaux. Editions Folio.
  • 9. Marc Bloch. Ibid.
  • 10. Cante : version andalouse de canto (chant), utilisée comme synonyme de chant flamenco.
  • 11. Annie Le Brun, Les châteaux de la subversion. Editions Folio/essais. 1986.
  • 12. Annie Le Brun, Les châteaux de la subversion. Ibid.
  • 13. Annie Le Brun, Perspective dépravée. Éditions La lettre volée. 1991.
Publié le 26/11/2009 par L'Achèvement