Annexe 2

Extrait de La crise et l'ordre marchand

La crise et l’ordre marchand, Université Paris14

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La protection du marchand et usure du temps

Face au marchand, l’attitude de l’Église semble ambiguë, car elle a « très tôt protégé et favorisé le marchand, [en revanche] elle a longtemps laissé peser des graves soupçons sur la légitimité d’aspects essentiels de son activité » 1. C’est ainsi qu’une importante et difficile question était posée à l’Église à savoir, si le marchand peut, « pour une même affaire commerciale se faire davantage payer par celui qui ne peut régler tout de suite, que par celui qui règle tout de suite ? La réponse argumenté est : non, car ainsi il vendrait le temps et commettrait une usure en vendant ce qui ne lui appartient pas » 2. En effet, pour le clergé, le temps appartient à Dieu, et le marchand n’a pas le droit de le vendre.

Apprivoisement du temps, réification de son objet

Il se trouve que l’Église, par la perspicacité des savants aussi bien chrétiens que laïques, avait réussi à construire les horloges afin de réguler ses clochers. Mais cet objet ne servait pas seulement à l’Église ; il était devenu un objet banal et commun aussi bien à la commune qu’à l’église ; aux marchand qu’aux ouvriers. Les premières inventions des horloges datent des XIIe - XIIIe siècles.

Construction de l’objet du pouvoir

C’est ainsi que l’objet du temps de Dieu, sous sa forme abstraite et sacré, était protégé par l’Église qui pouvait facilement interpréter son usage : permettre ou interdire sa vente.

Mais lorsque cet objet du pouvoir fut construit, la symbolique ; l’abstrait ; le sacré, furent réifiés (chosifiés) ; banalisés. Dès lors, le marchand pouvait assez facilement s’en accaparer ; le vendre ; le liquider ! Aujourd’hui vous le savez bien, tout le monde dispose de son temps au poignet ; de son heure... Et l’on demande bien souvent : quelle heure avez-vous madame ; monsieur ?

Acceptation du fait accompli

Le temps des marchands avait su : créer des nouveaux liens entre les gens ; les peuples ; les nations ; ouvrir des nouveaux horizons ; créer des nouvelles richesses ; faire ce que l’Église ne savait plus faire, car l’Église avait ses déchirures internes et ses problèmes de finance à régler. S’il faut rappeler qu’il y avait deux papautés à la fin du XIVe siècle : l’une dissidente à Avignon en France et l’autre à Rome en Italie... C’est ainsi que les nouvelles richesses des laïques, finiront par déplacer le centre du pouvoir.

Dernier retranchement, la protection de l’enseignement

Visiblement, l’Église avait énormément des problèmes et le temps lui échappait. Ainsi en dernier retranchement, la question de la vente du savoir aussi se posait avec la même vigueur. En effet, selon saint Bernard, la question se pose à propos de l’enseignement, à savoir si le marchand peut vendre la science qui « n’appartient qu’à Dieu ? » 3.

Temps moderne, nouveau pouvoir, nouvelle crise avec l’ordre marchand ?

À cette question, suivant le processus observé de l’objet du temps, l’heure est peut-être venu ? Car sans conteste, l’ordre marchand n’attend que cela ! Il n’attend que l’objet abstrait du savoir, soit réellement réifié ; chosifié ; banalisé, afin d’oser ; oser le liquider ! On s’en approcherait semble-t-il, avec le développement de la nouvelle technologie et l’intelligence artificielle. Les robots intelligents remplaceront peut être les vieux professeurs tournesol (barbus et chauves) ?

CONCLUSION

Il fut pourtant une époque, où les savants furent des grands hommes politiques et inversement les hommes politiques des grands savants : par exemple, un célèbre savant du XVIIe siècle : Pierre de Fermat fut paradoxalement mathématicien, homme politique et fils de marchand ; au XVIIIe siècle, siècle des Lumières ; siècles des encyclopédistes ; les savants étaient réunis en différents partis tels que le parti encyclopédique ou le parti philosophique, où l’on rencontrait parmi les plus célèbres : Denis Diderot ; d’Alembert et bien d’autres savants, philosophes, mathématiciens qui étaient aussi hommes politiques. Et comme tout le monde le sait, ce siècle des Lumières ouvrit la porte à la Révolution française (le 14 Juillet 1789) ; mais aussi à la déclaration de l’indépendance des États-Unis d’Amérique (13 ans plus tôt, le 4 Juillet 1776). S’agit-il d’une époque révolue ? Telle est la question que l’on peut se poser aujourd’hui !

La crise et l'ordre marchand

 

  • 1. Le Goff, Jacques, 1997, Pour un autre Moyen Âge, Gallimard (page 46).
  • 2. Ibidem.
  • 3. Le Goff, Jacques, 1997, Pour un autre Moyen Âge, Gallimard (page 48).
Publié le 6/12/2009 par L'Achèvement