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Après avoir co-réalisé avec Florian Pourchi Monton 2.0 – La puce à l’oreille programmé à la Biennale du film d’action sociale en 2013, Antoine Costa vient de réaliser Les dépossédés. Un documentaire sur la financiarisation de la nature, la compensation biodiversité et la privatisation des biens communs.
« Ce qui est inexploitable n'est pas ou ne mérite pas d'être ». Ce qui donne sous la forme d'un impératif « exploite tout » (...) Pour les ontologues de l'économie, la nature était seulement une chose contingente avant qu'ils lui donnent « être » et «valeur» en en faisant la matière première de leurs produits. Mais «être» et «valeur» ne lui ont été donnés qu'à titre d'avance sur les produits qu'on tirera d'elle. l'Obsolescence de l'homme, Günther Anders, 1956
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Le capitalisme a véritablement crée des richesses.
Il a su en trouver là où l’on n’en voyait pas.
Ou plutôt, il a créé de la valeur là où l’on ne voyait que des richesses.
En monétisant la nature, en donnant une valeur à chaque chose, un prix à la biodiversité, il achève dans un même mouvement de la saccager en la protégeant.
Extrait de l’entretien avec Antoine Costa, réalisateur :
Ce n'est jamais évident de relier la question sociale à l'écologie. Ton documentaire s'ouvre sur une lutte sociale, celle des sidérurgistes de Lorraine pour là sauvegarde de leur emploi. Peux-tu expliquer ce qui relie cette question d'actualité à la financiarisation du Climat ?
Arcelor Mittal est le plus gros producteur mondial d'acier et plus gros pollueur français (18 % des émissions de CO2 devant EDF 16 % ou TOTAL seulement 9 %). Ses usines sidérurgistes du bassin lorrain firent la une de l'actualité sociale pendant la présidentielle de 2012. Les hauts-fourneaux marchaient au ralenti depuis quelques temps et les causes étaient somme toute classiques dans une économie mondialisée : la concurrence chinoise, la hausse des matières premières qui devaient venir de plus loin depuis qu’on avait fini d'extraire le fer du bassin. On s'intéressait peu à cette région et à la situation sociale de ceux qui y vivent, mais les élections les projetèrent sur le devant de la scène.
Les candidats en campagne s’y succédèrent, faisant de grandes promesses aux ouvriers. Sarkozy promis de trouver un repreneur. Hollande aussi. Montebourg parla un temps de nationaliser les hauts-fourneaux. Jean-Marc Ayrault promet de reclasser les ouvriers.
Mais pendant ce temps-là : « En raison de la crise économique nous avons dû réduire nos volumes de production, ce qui a abouti à un excédent de quotas de CO2 gratuit. Mais ils sont soit conservés pour couvrir nos besoins futurs, soit revendus pour financer des projets d’efficacité énergétique », déclare Hervé Bourrier, PDG d’Arcelor Mittal en France. « En raison de » ou « grâce à » la crise économique, Arcelor vend ses crédits sur BlueNext[1] La fameuse crise, celle à cause de laquelle « il faut se serrer la ceinture » c’est donc, pour Arcelor : 140 millions de dollars en 2010 et 93 millions de dollars en 2011. Entre 2005 et 2010, c’est 156 millions de tonnes de CO2 qui auraient été économisés. On ne peut pas calculer exactement le gain car le prix de la tonne de carbone varie, mais au prix le plus bas (7 euros la tonne) le gain serait de 1,1 milliards d’euros. De 1'argent qui tombe de ciel, puisque ces crédits ont été donnés à Arcelor par l’Etat. « CO2 n’est plus un déchet mais un sous-produit dont les possibilités de valorisation déterminent la stratégie industrielle des groupes » relèvera la confédération européenne des syndicats (regroupement de syndicats européens auprès des institutions de l’union européenne) dans son rapport sur l’impact sur l’emploi du changement climatique et des mesures de réductions des émissions de C02.
Car Mittal Steel oompany propriété d'un milliardaire indien, qui racheta Arcelor, l'entreprise européenne en 2006, n'en est pas à son coup d'essai. L'office for the protection of competition, une autorité tchèque responsable de la concurrence dépendant de l’OCDE, peu soupçonnable de sympathie écolo, dénonça les pratiques de Mittal Steel Company qu'elle accuse de réduire son activité en République tchèque au profit de ses usines au Kazakhstan. Les crédits ainsi non utilisés en République tchèque étaient revendus en Europe de l'Ouest. Et la production pouvait continuer dans un pays non soumis aux lois surie marché carbone. Le beurre et l'argent du beurre.
Autre exemple, au Brésil la Mittal Steel Company possède une filiale Arcelor Mittal Brazil forests. On privilégia le charbon de bois plutôt que le coke comme combustible pour alimenter les usines. Ce changement de combustible génère des millions de crédits de quota carbone mais implique la transformation d'immenses régions en désert vert gigantesque monoculture d'eucalyptus.
Toujours au Brésil. Dans son usine de Tubarao, Arcelor Mittal réalise un investissement pour produire du courant en brûlant les gaz de ses hauts-fourneaux. Un investissement qui aurait de toute façon été consenti un jour ou l'autre puisque qu'il réduit la facture énergétique. Cet investissement génère 430 000 tonnes de C02 échangeables.
En Chine cette fois-ci, Arcelor Mittal finance un projet du PNUD, Programme des Nations-Unies pour le Développement. 1,7 million d'investissement dans douze provinces. La Chine ayant un énorme parc industriel, vétuste et très, polluant en gaz à effet de serre se révèle un terrain de jeu propice pour les éco-investisseurs. On y génère là-bas et en grande quantité, des crédits carbones qui pourront servir à polluer ailleurs.
Mais Arcelot Mittal n'est pas une exception. Entre 2008 et 2012, les pays membres de l'Union européenne devaient baisser leurs émissions de 130 millions de tonnes de C02. Sauf qu'avec ce système de compensation par investissement, ce sont en vérité 280 millions de tonnes sous forme de crédits qui sont rentrés en UE. Donc quand on nous parle du bilan de Kyoto, quand on nous dit qu'un pays est rentré dans ses objectifs ou non. Ce constat est de toute façon faussé dès le début. (…)
Notes bibliographiques :
L'impossible capitalisme vert, Daniel Tanuro, la Découverte 2012
Comment s'enrichir en prétendant sauver la planète, Sophie Chapelle, BastaMag, Juin 2012
Les marchés carbone, comment gagner des millions grâce à la pollution, Ivan du Roy, Bastamag, Mars 2010
Comment ArcelorMittal engrange des millions grâce à la fermeture de Florange. Sophie Chapelle, BastaMag, Janvier 2013
Quand ArcelorMittal gagne de J'argent en mettant en sommeil ses aciéries. Cédric Pietralunga, Le Monde, Avril 2012
Note :
[1] Bluenext est la bourse du marché carbone où s'échangent et s'achètent les permis de polluer.
de L'Achèvement
Sur la lecture de notre époque
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