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Chasse aux pauvres, chasse aux sorcières dans la mégapole « intelligente » du Monde centrifuge du XXIe siècle

Article, avril-juillet 2015

Ci-dessous, extrait du texte...

Texte collectif, les amies et amis de l'Achèvement

 

 

Ça se passe ici à Lyon sans le peuple, mais aussi à Marseille, à Hambourg où à Barcelone…

L’enclosure moderne (colonialisme ou dépossession moderne), la cité du Monde centrifuge qui exclut les masses flottantes —les classes populaires, dont l’immigré, gérées comme des migrants, et le migrant géré comme un déchet.

Les grandes transformations qui ont bouleversé la vision du monde des XVe et XVIIe siècles, les grandes transformations de la dernière guerre mondiale à nos jours, ces grandes transformations contre le corps, rebelle d’être corps à travail, corps à reproduction, corps à consommer, corps à enfermer, corps à exclure.

Chasse aux classes populaires, aux pauvres et aux migrants dans les quartiers populaires de Lyon, mégapole internationale pour un Lyon sans le peuple. Avec pour exemples, local-global : la transformation de la place Mazagran (quartier populaire de la Guillotière de Lyon), la grande transformation de l'Hôtel-Dieu comme manifestation-spectacle de la dépossession-captation des domaines et espaces publics au profit du privé, et la gentrification des quartiers populaires.

Où à présent, dans Monde centrifuge, on ne se demande plus comment faire travailler les pauvres, traités comme des infrahumains, mais comment les déposséder plus encore, d’un point de vue mécaniste qui les ravale au rang de ressources disponibles, retirant toute contrainte éthique à leur exploitation moderne.

Mais l’exploitation moderne concerne aussi tous ceux qui ont vendu leur âme au diable, pour bénéficier des largesses des Dieux de la mégapole. Pour eux, en tant que privilégiés d’être une ressource disponible, il n’y a plus de classes, donc plus de luttes de classes.

 

« Nous pouvons lire dans nos journaux les mêmes accusations contre la fainéantise des pauvres. Les expropriateurs se déplacent dans le tiers monde, détruisant les cultures, pourvoyant la connaissance occidentale estampillée, pillant les ressources de la terre et des gens. L’éthique de la propriété les anime. L’agriculture scientifique empoisonne la terre de pesticides ; la technologie mécaniste construit des centrales nucléaires et des bombes qui peuvent faire de la terre une chose morte. Si nous écoutons la radio, nous pouvons entendre le crépitement des flammes à chaque bulletin d’information. Si nous regardons le journal télévisé ou sortons marcher dans les rues, où la valeur transcendante du profit augmente les loyers, le prix de l’immobilier, et contraint les gens à quitter leurs quartiers et leurs maisons, nous pouvons entendre le bruit sourd de l’avis de mise en clôture en train d’être cloué à la porte. (...) La fumée des sorcières brûlées est encore dans nos narines ; elle nous intime avant tout de nous considérer comme des entités séparées, isolées, en compétition, aliénées, impuissantes et seules1. » Starhawk.

1 Starhawk, Femmes, magie et politique, traduit de l’américain par Morbic, postface d’Isabelle Stengers, Editions Les Empêcheurs de penser en rond.

 

 

 

Sommaire : Chasse aux pauvres, chasse aux sorcières dans la mégapole « intelligente » du Monde centrifuge du XXIe siècle.

1) Six siècles de guerre de classes.

2) Construction d’un nouveau modèle de vie et de comportement : Production/reproduction de la force de travail : des classes populaires, paysans, artisans, journaliers des XV-XVIIe siècles, et au XXIe siècle, aux classes populaires et déclassés de nos jours.

3) A la Guillotière, place au nouveau monde, au nouveau modèle de vie et de comportement. Chasse aux sorcières, chasse aux classes populaires et aux pauvres.

4) Only-Lyon, l’exclusion Incity.

5) Loi d’exception.

6) L’Hôtel-Dieu lyonnais, de la Renaissance à nos jours . La mégalopole, la machine Monde centrifuge. La véritable mécanique de l’art de vivre et du business à la française.

7) Une époque vintage dans le lit de la techno-modernité capitaliste sécuritaire.

 

 

 

Six siècles de guerre de classes

 

Le Pape Innocent XI Odescalchi décide en 1693 de réorganiser l'assistance publique de Rome, en commençant par recueillir dans une unique institution tous les enfants abandonnés, et en projetant de concentrer les autres catégories de pauvres et d'assistés. Son successeur Clément XI pense cependant qu'il était prioritaire, d'incorporer, à l'hospice pour les orphelins, la prison pour les mineurs (correctionnel, Ospizio Apostolico di San Michele) et en 1704, il fait construire dans ce but, sur le projet de Carlo Fontana, un nouveau corps d'usine, en dictant personnellement le règlement.

 

 

Les seigneurs s’y entendent très bien par eux-mêmes à faire que le pauvre leur devienne ennemi. Ils ne veulent pas mettre un terme à ce qui cause les insurrections. Comment voulez-vous que tout cela finisse bien ? Thomas Münzer, 1489-15251.

1 Anabaptiste de la révolte des paysans, dans la ville allemande de Muhlhausen.

 

Echange, entre un révolté noir de Baltimore et un journaliste de la chaine ultraconservatrice de Foxnews, à propos de la venue de « medias blancs » après les émeutes noires qui ont fait suite à la mort de Freddy Gray tué par un policier blanc en 2015 : « Je veux que toi et Foxnews quittiez la ville de Baltimore, parce que vous n'êtes pas là pour parler des maisons barricadées et des sans abris boulevard Martin Luther King, vous ne parlez pas des seuils de pauvreté tout le long de North Avenue, deux ans plus tôt, quand 300 000 personnes ont marché ici, vous n’étiez pas là. Mais vous êtes là pour les émeutes noires, vous n’êtes pas là pour la mort de Freddy Gray, vous êtes là pour autre chose, et (...), je veux que tous les médias blancs s’en aillent de Baltimore2... »

2 Cité par Rue89. Baltimore, avril 2015.

 

 

Rue Montesquieu. Juillet 2015, dans le quartier populaire de la Guillotière, Lyon, destruction d’immeubles squattés par des pauvres expulsés et chassés violemment.  « Dans la lueur du soir tu as vu la fin d’un monde ». Chanson de Dominique A, La fin d’un monde.

Rue Montesquieu. Juillet 2015, dans le quartier populaire de la Guillotière, Lyon, destruction d’immeubles squattés par des pauvres expulsés et chassés violemment.  « Dans la lueur du soir tu as vu la fin d’un monde ». Chanson de Dominique A, La fin d’un monde.

 

Que l’emploi soit la version salariée du servage et de l’esclavage, c’est ce que savaient les hommes et les femmes fiers et libres qui résistèrent durant six siècles à « la roue de l’histoire » ; à l’asservissement salarié dans l’organisation scientifique de la production, et bientôt de la vie. Des siècles de vagabondage de masse entre l’appropriation, par la violence, des communaux par les seigneurs et la bourgeoisie et l’instauration de la tyrannie industrielle. On sait qu’il fallut les galères, le gibet, le bûcher, les « workhouses » [asiles ou hospices de pauvres] et les travaux forcés pour contraindre et réduire les masses vagabondes à l’usine et à l’emploi salarié. Six siècles de guerre de classes1

Ces pendus, ces vagabonds, ces sorcières, ces forçats, ces galériens seraient, du point de vue largement partagé des progressistes techno-économistes, des conservateurs qui s’efforçaient de garder « la position perdue de l’artisan du Moyen Âge » (cf. Le Manifeste du Parti communiste). Aussi choquant que cela puisse être pour cette idéologie, il semble, qu’autant que possible, chacun veuille être son propre maître et, ne dépendre ni d’un supérieur ni d’une organisation. Il fallut la destruction de la base matérielle de cette volonté et de cette indépendance (les communaux, la nature, la ville), et ces six siècles de dressage par la faim et la terreur pour aboutir au salariat et former cette classe dont le parti de l’Etat et du « service public », s’arroge encore la direction. Pour les progressistes techno-économiques, ces hérétiques, ces vagabonds et mendiants, voleurs et briseurs de machines étaient –et sont toujours– des « réactionnaires » et ou des arriérés ou infrahumains. C’est seulement depuis qu’ils sont réduits à merci que l’on voit les gens du peuple « se battre pour l’emploi » et réduit à la mendicité, de quémander ce paradoxe au pouvoir expropriateur, les subsides de leur survie, la misère où l’on nous a réduits : salaires, allocations –un revenu universel–, un salaire pour le travail ménager, un salaire pour la reproduction ou la procréation pour les plus en pointe de nos techno-progressistes2. Pourquoi dire merci à toutes ces aliénations et infériorisations dont on ne sort pas grandi.

 

(...) Lire la suite du texte sur le format PDF ci-dessus
 

1 D’après l’appel du 2 mai 2015contre Center Parcs à Roybon : « en prélude, voici une contribution sur "L’emploi, mode de vie" », les groupes en lutte contre Center Parcs à Roybon appellent à un rassemblement au parc Hoche à Grenoble. Un débat autour de l’avenir du travail (chantage à l’emploi, croissance illimitée, informatisation globalisée... pour quoi faire ?) avec notamment des membres d’Ecran Total.

2 Idem, d’après l’appel contre Center Parcs à Roybon, autour de l’avenir du travail.