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Les Gitans au temps de Sade

Le livre de l’invisible. A l’âge d’or opposant l’âge de la mort, la brume du mystère à la chair du soleil, le soupir glacé au chant du prisme. Mort partagée, mort, comme le pain, rompue. Paul Eluard. 1

Tous les hommes tendent au despotisme ; c’est le premier désir que nous inspire la nature, bien éloignée de cette loi ridicule qu’on lui prête, dont l’esprit est de ne point faire aux autres ce que nous ne voudrions pas qu’il nous fût fait... de peur des représailles, aurait-on dû ajouter. Écrivit Sade en 1797, dans Histoire de Juliette.

Le mystère Tsigane 2 et leur histoire amputée de son « âge d’or », une zone d’ombre qui nourrit plus encore l’imaginaire. Les Tsiganes sont signalés vers le 10e siècle. Avant, nous ne savons rien d’eux. Tous les dialectes tsiganes ont un fond sanskrit ce qui les ramène de l’Inde. Les causes de leur exode ou de leur fuite d’Inde restent inconnues : invasions de tribus guerrières, conquête de l’Islam ? Ce qui est su, et nous n’y reviendrons pas, est la partie émergée de leur histoire qui commence avec leur entrée en Occident, aux environs du 15e siècle, leur contact désastreux avec le "monde moderne". En somme la partie noire d’une histoire écrite dans un livre invisible où la mémoire de leur vie est dans leur chant noir archaïque. Chant noir, non qu’il n’y en ait pas d’autre, sera le seul regard que nous porterons avec le flamenco dont la forme est la plus archaïque, la mieux taillée du malheur, et parmi la plus moderne des poésies, chantée par ceux qui livrent le moins leurs secrets pour leur propre survie. Sade naquit le 2 juin 1740 et mourut le 2 décembre 1814. Par son goût des masques, par l’absence de portrait, on ne connaît pas son véritable visage, il passa la moitié de sa vie emprisonné, ce qui alimente le feu qu’il alluma lui-même. Le flamenco apparut aux environs de la fin du 18e siècle, mais il reste difficile, voir impossible de le dater avec précision. Le Gitan comme on le sait ne tient pas de journal, n’étant pas celui, l’homme, de l’écriture au sens où nous l’entendons en Occident. Il n’y a rien de commun entre Sade le libertin et la dure loi gitane. Mais qu’est-ce qui les unit tout en les différenciant : l’époque, leur singularité, l’affrontement au monde d’alors, la modernité poétique de l’un et de l’autre ? Le sensible et l’intelligence, leur lucidité sur l’homme et le monde, sur le devenir du monde ; leur poésie noire sur la vie, l’amour, la mort. La censure de leur vie, de leur œuvre, les calomnies et les mensonges, les dures prisons. Des poètes maudits, leur autre emploi de la vie et du temps. Goût du voyage et de la théâtralisation, de la sensualité, l’érotisme exprimé dans le chant et la danse dans l’œuvre et la vie des Gitans et de Sade.

Sade, ce monstre de cruauté qui durant la Terreur s’éleva contre la peine de mort, sera remis aux geôles de la révolution par la Révolution, lui qui avec passion l’avait servie, il dit au sujet du roman, comme nous pourrions le dire du cante gitan, que « la connaissance la plus essentielle qu’exige [le roman] est bien certainement celle du cœur de l’homme. Or, cette connaissance importante (...) on ne l’acquiert que par des malheurs et par des voyages ; il faut avoir vu des hommes de toutes les nations pour les bien connaître ; il faut avoir été leur victime pour savoir les apprécier ; la main de l’infortune, en exaltant le caractère de celui qu’elle écrase, le met à la juste distance où il faut qu’il soit pour étudier les hommes ; il les voit de là comme le passager aperçoit les flots en fureur se briser contre l’écueil sur lequel l’a jeté la tempête. » 3

Dames qui consultent une gitane de Sacro Monte. Gravure de Gustave Doré

 

 

  • 1. Préface. Horace Walpole, Le Château d’Otrante. Éditions José Corti, collection romantique n°4. 1995.
  • 2. Nous employons le terme de Tsigane pour désigner l’ensemble de ce peuple, qui lui se désigne par Rom (homme), et Gitan pour désigner ceux d’Espagne.
  • 3. Sade, Les crimes de l’amour. Chapitre : Idée sur les romans. Éditions 10/18. 1971.
Publié le 2/12/2009 par L'Achèvement