Annexe 1

Histoire d’un mot, par Michel Delon, janvier 1991.

C’est en 1834 que le Dictionnaire universel de Boiste, dans sa 8e édition corrigée et augmentée par Nodier, accueille le terme sadisme : “Aberration épouvantable de la débauche ; système monstrueux et antisocial qui révolte la nature”. Le dictionnaire en fournit l’origine (De Sade, nom propre) et ajoute : “peu usité”. La notion de sadisme n’est pas étrangère, loin s’en faut, à l’œuvre de Sade qui a utilisé les termes de taquin et de taquinisme (voir Œuvres, Bibl. de la Pléiade, page 118), mais le néologisme de 1834 est une des étapes de la constitution de mythe.

Le psychiatre allemand Krafft-Ebing donne un statut médical au sadisme en 1891, dans la 6e édition de la Psychopathia sexualis, en même temps qu’il crée le masochisme, mais il ne place pas sur le même plan Sacher-Masoch, honorable écrivain lu dans toute l’Europe de temps, et Sade qui n’est qu’un cas clinique. Freud fait jouer les deux notions l’une par rapport à l’autre dans ses hypothèses successives de 1915 et de 1924. Il faut attendre 1967 pour que Gilles Deleuze dénoue le couple et que soit reconnue l’autonomie des deux perversions.

Les artisans de retour à Sade ont lutté sur le terrain lexical. Ils ont proposé de parler d’algolagnie (Maurice Heine explique : du grec algos, douleur, et lagneia, libertinage) pour designer le goût érotique de la douleur, infligée ou reçu. Les spécialistes de Sade se sont appelés tantôt sadistes, tantôt sadiens. Sadisme est aujourd’hui banalisé dans notre vocabulaire quotidien, mais il n’a pas plus à voir avec Sade que Machiavel n’est réductible au machiavélisme.

Publié le 6/12/2009 par L'Achèvement