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iPad2, tous à la queue leu leu pour la tablette Apple
Tract diffusé lors du référendum italien du 12 juin 2011, sur le nucléaire, l'eau et la justice.
Toutes les notes, en bas de page, sont de l’Achèvement.
Le catastrophisme et le pacifisme sont à la mode, comme Heidegger et le McDo, l'OTAN et le vin biodynamique, Toni Negri et Berlusconi, ou Massimo D'Alema et Michel Le Gris. À l’époque pré-spectaculaire, (selon l’expression du bureaucrate allemand social-démocrate August Bebel) la bureaucratie social-démocrate admettait que « l'antisémitisme est le socialisme des imbéciles », et de leurs manifestes et occultes mandants. Aujourd'hui ils sont peu à reconnaître que le catastrophisme c'est l'écologisme des spectateurs, et le pacifisme le succédané d'internationalisme qui les anime, un semestre sur deux, sur ordres; même s'il ne s’agit plus d'écraser la révolution libertaire en Espagne et de signer un pacte avec Hitler, comme le voulut le stalinien Togliatti, Vidali et Mamsurov interposés.
Le catastrophisme est sponsorisé par des associations (Onlus1 vertes, ou anti-mondialistes, «autonomes» ou «libertaires» dont le message unique consiste à répéter obsessionnellement que la civilisation industrielle est entourée de menaces obscures : contre la stabilité du climat, contre notre santé, la fertilité des sols, le naturel de l’alimentation, «la civilisation du vin» (sic!), l'équité et la solidarité nécessaires à la vie civile en commun; et donc contre la paix ! Si nous ne changeons pas radicalement de voie –intiment-ils– le désastre est inévitable; le désastre économique aussi, le coût du pétrole en voie d'épuisement étant bien trop élevé2
Plus que le coût et l'épuisement du pétrole, ce que chacun constate est, par-dessus tout, l’actuelle prolifération (notamment en Italie) de véhicules et d'engins en tous genres qui tuent une centaine de personnes par semaine. Pour garantir la production écologique et sempiternelle de ces machines de guerre qui animent une guerre "insensée", comme l’écrivait Primo Levi, qui ne connaissait que trop bien ce qu’insensé pouvait signifier, deux écoles de pensée s'affrontent dans une joute infinie, en proposant le dilemme déchirant : développement durable ou décroissance sereine et conviviale ? Mais l'une comme l'autre sont sur le marché de l'innovation technologique, et tous leurs partisans ne sont pas contre le nucléaire soi-disant civil, «[s’il serait] finalement sûr», même si Fukushima les embarrasse un peu, dont elles préfèrent glisser sur le sujet. Dans les dernières semaines le très rigoriste quotidien Il Fatto a donné un exemple parodique d’une telle attitude, jusqu'à se taire sur tout, au moment même où officiellement on admettait un écoulement constant de plutonium du réacteur 2: une information qui disparaît du Fatto le mardi 29 mars comme l’aurait fait le Tg1 berlusconisé3 par Minzolini que ce même Il Fatto critique pourtant inflexiblement !
Quant aux catastrophistes déclarés, le désastre réel (qui les obligerait peut-être à tenter de déchaîner des désordres aux effets peu contrôlables, comme si nous fussions des barbares Libyens ou Syriens de 2011 ou des Kabyles nomades de 2000-2002, ou pire encore, des enragés et situationnistes de 1968) ils préfèrent lui faire écran avec «l'image de la catastrophe hypothétique ou calculée, extrapolée», comme René Riesel et Jaime Semprun l’ont remarqué dans Catastrophisme, administration du désastre et soumission durable (Paris 2008, Éditions de l'Encyclopédie des Nuisances). Ces experts alternatifs, très pessimistes à propos d'un avenir sans eux et, sur lequel ils montrent éloquemment comment s'épaississent de plus en plus les nuages, ils se limitent par contre quant au présent à fournir des contre-expertises qu'une fois sur deux ils vont photographier l'état des choses sur le moment précis, comme si de l'événement catastrophique dont ils parlent ils n'eussent en main qu'un instantané dramatique sans passé et sans avenir, et comme si eux-mêmes avaient été décervelés (il est probable qu’il en soit ainsi, par exemple dans le cas des dirigeants très scientifiques et des volontaires pleins de bonne volonté de Greenpeace), en perdant la capacité d'anticiper ce qu'on savait déjà, depuis le début, et qui serait de toute façon arrivé, comme par exemple depuis 2000 à Fukushima, selon les documents secrets publiés par Wikileaks. Ou comme à l'Aquila (l'inécouté Cassandre Giampaolo Giuliani). Comme à Tripoli ? Ainsi les menaces futures qui pèsent sur nous apparaissent comme des nuages obscurs à l'horizon, mais évitables, pourvu qu'on suive les ordres de ces estimables experts4 pendant qu'un nuage réel radioactif et destiné à être aggravé par le syndrome chinois ne serait rien d'autre qu'une contingence désagréable à laquelle, peut-être, il serait possible de remédier. Paris vaut bien une messe, et un gros plan dans un Journal télévisé une figure de cons. "Quand la maison brûle, on peut prier ou laver le plancher. Prier est plus pratique, de toute façon" (Karl Kraus).
Les catastrophistes sont aussi menaçants que les menaces environnementales contre notre civilisation. Ceux-ci traitent avec les États et avec les organes supra-étatiques relevant de la bureaucratie mondiale réunie sous l'égide de l'ONU ; si l’on ne suit pas leurs règles, ce sera le désastre. Mais le désastre réel, non pas la catastrophe hypothétique dont ils nous paissent, est déjà installé. Le désastre n'est pas l'incontestable fait que les vieilles centrales nucléaires (âgées de 15-20 ans, dit-on maintenant) se comportent comme agonisants moribonds ou pire: elles ne peuvent pas s'en empêcher, comme le scorpion de la fable : c'est leur caractère5 Le désastre réel est qu'elles aient été construites, mines anti-personnelles cosmiques qui ont déjà donné le change aux tests militaires nucléaires de la deuxième moitié du siècle dernier, et dont les effets, par exemple sur l'ADN des êtres vivants, sont destinés à durer et à s'accumuler sur des millénaires, de manière bien réellement aléatoire et imprévisible. Quant aux déchets de ces activités profitables, les responsables des États et de l'industrie ressemblent à la mauvaise ménagère qui cache les miettes du festin sous le tapis. L'exemple de la France, qui a l'intention de les enterrer à 500 mètres de profondeur sous la Champagne (un site "expérimental" est déjà opérationnel in loco) car le sous-sol de la région offre des garanties antisismiques excellentes, ne devrait pas alarmer seulement les vinomaniaques.
La véritable catastrophe est que tous les facteurs qui, selon les catastrophistes, devraient, dans un avenir assez proche, nous soustraire aux prétendus plaisirs de narcisses gâtés dont se délectent aujourd'hui les spectateurs-consommateurs-touristes-électeurs, sont dors et déjà présent ici et maintenant et jouissent d’une santé excellente: métaux lourds et déchets industriels qu’on ne sait plus où mettre (en Chine, en Afrique ou, avec l'aide de la Camorra, en Campanie) et qu'on tente de recycler, les poussières radioactives qu'on ne sait où déposer parce qu'elles sont trop fines et que le vent disperse, l'eau potable contaminée dont les seuils de toxicité chimique ont été revus à la hausse début 2010 (la présence d'arsenic et de dioxine dépassait le niveau de mise en garde ou s’en l'approchait dangereusement, en Italie, comme ailleurs).
On ne sait pas comment se libérer de l'amiante, et cela 113 ans après la découverte scientifique de sa nocivité (déjà remarquée par Pline l'Ancien dans son Histoire naturelle au premier siècle après J.-C.) et alors que nous vivons le moment de gloire des nanotechnologies, dont on sait que leurs effets sur la santé sont comparables à ceux de l'amiante.
Ce processus de destruction du vivant, voué à être remplacé par un artificiel illimité6 qui recouvre et obstrue l'horizon entier de l'activité humaine, a comme fondement et pour comble l'agrochimie et la zootechnie (avec l'industrie de transformation alimentaire qu'elles entretiennent) et les biotechnologies qui, pendant qu'elles appauvrissent et réduisent la biodiversité naturelle en la stérilisant, ont ouvert la voie de sa brevetabilité. Cent ans d'agriculture industrielle ont du reste désertifié un milliard d'hectares de terres fertiles, soit autant que lors des dix mille ans d'agriculture intensive basée sur la charrue. Les microbiologistes du sol Claude et Lydia Bourguignon nous en informent particulièrement bien, inutile donc de multiplier ici les exemples.
Cette banqueroute frauduleuse de la société industrielle, c'est-à-dire de notre civilisation, n'est pas un facteur de risque hypothétique qui menace l'avenir : elle se déroule et s’est développée depuis le début du XXe siècle7 Prenons un exemple à la mode, le réchauffement global de la planète causé par l'effet de serre, et qui n'est peut-être pas sans rapport avec certains phénomènes météorologiques, sismiques et volcaniques particulièrement impressionnants: il ne faudra pas attendre vingt ou trente ans pour subir les effets du réchauffement climatique si nous ne changeons pas de voie. C'est la route à sens unique que, du coup, nous nous sommes retrouvés à parcourir depuis quarante ans. La civilisation industrielle s'est déjà écroulée, et nous sommes dessous8 L'accélération de l’incessant renouvellement technologique marque cette phase terminale du capitalisme bourgeois et bureaucratique qui a été jusqu’à saper ses propres bases matérielles, et qui ne fait pas autre chose depuis que d’étendre et d’intensifier les conséquences d’un tel effondrement à la seule fin de se donner «une apparence de survie, jusqu'au coma dépassé». Le cataclysme japonais n’en est que l’abrégé, concentré explosivement dans l'espace et dans le temps : -Voici peint sur ces bords | de la race des hommes | le « splendide avenir »-, disait Leopardi.
D'autres ont indiqué les raisons historiques de ce processus : «Le spectacle ne cache pas que quelques dangers environnent l'ordre merveilleux qu'il a établi [...] Il ne veut discuter que sur les dates et les doses. Et en ceci seulement, il parvient à rassurer ; ce qu'un esprit pré-spectaculaire aurait tenu pour impossible» (Guy Debord, Commentaires sur la société du spectacle, 1988). Maintenant que l'état d'urgence environnemental a officiellement été proclamé par l'ONU et des dizaines d'État nationaux qui polémiquent entres-eux à ce propos, ceux qui devraient s'opposer à la catastrophe ne discutent rien d’autre que de dates et de doses. Malgré le diagnostic confus mais inquiétant et le pronostic réservé dont ils nous gratifient, leur image au ralenti du désastre qui nous attend réussit à tranquilliser. Faire bouillir les marmites de l'avenir, comme dirait Marx, est la meilleure manière de distraire le spectateur du goulasch écœurant qui est maintenant sur sa table, au dîner de Monsieur Valdemar. «En Allemagne tous considèrent le nucléaire fini. Il reste maintenant à établir quand», disait le 1er avril 2011 un journaliste de la télévision. S’il s’agit de poisson, ils nous serviront un mérou de polyuréthane ou une Truite9 ?. Mais «on ne mange pas toujours ce qui est sur la table», comme le concluait Ambrose Bierce à propos du résultat d'une autre menace invisible, inodore et sans saveur (tout comme les radiations) mais pour autant pas moins terrifiante.
Pour son regard exclusivement tourné vers le quantitatif, ou mieux, vers ce qui est en ce moment quantifiable ; pour sa vocation à en tirer des recettes de salut totalisantes auxquelles les disciples doivent se conformer perinde ac cadaver, c’est-à-dire à attendre, religieusement, le salut dans l'avenir ; pour son élan et sa capacité irrésistibles, « à envahir emplois et pouvoir» comme le disait le général Pietro Collecte (Histoire du royaume de Naples) à propos d'une autre secte: le catastrophisme -phase suprême de l’environnementalisme- constitue la force actuelle de complément de la bureaucratisation du monde qui avait été commencée, au siècle dernier, par les totalitarismes de transition (Lewis Mumford) fascistes et communistes et par la prolifération incontestée du management et de l'État-providence dans le capitalisme bourgeois avancé. Si la bureaucratie totalitaire représentait le rêve –la promesse de bonheur- d'un développement illimité des forces productives comme système purement technique (y compris dans l'élimination des indésirables et des réfractaires) tandis que le management garantit la matérialisation croissante en marchandises et en systèmes de marchandises abondantes et effectivement disponibles «sans limites» (filière du pétrole, de l'énergie et des transports, filière de l'«alimentation», de l'eau et du médicament industriel, filière de l’armement, etc.) le catastrophisme lui incarne l'avant-garde de leur rationnement, maintenant que la réalité présente le bilan de la longue soirée futuriste de l'empire de la marchandise et de la production industrielle aliénée. Dans ses plus hauts faits, la critique sociale moderne avait anticipé ce triste résultat : «La soi-disant "lutte contre la pollution", par son côté étatique et réglementaire, va d’abord créer de nouvelles spécialisations, des services ministériels, des jobs, de l’avancement bureaucratique. Et son efficacité sera tout à fait à la mesure de tels moyens» (Guy Debord, La planète malade, 1970).
Quelqu'un a remarqué que jusque dans les pays «civilisés» bien rodés à la routine autoritaire et sécuritaire de la sur-socialisation, la bureaucratie catastrophiste «n'obtiendra, comme toute bureaucratie, qu'une parodie d'efficacité. Aussi rapide qu'elle puisse être, précipitée par les états d'urgence qu'elle devra instaurer, la bureaucratisation ne «résoudra» rien : elle fera face, avec ses moyens immenses de coercition et de falsification, au déferlement de fléaux de toute nature et à leurs combinaisons imprévisibles […] Pour l’heure, elle parvient, et là du moins avec une indéniable efficacité, à étouffer par la propagande et l'embrigadement toute tentative d'affirmer une critique sociale qui serait à la fois antiétatique et anti-industrielle» (Riesel et Semprun, Catastrophisme, op. cit.). Mais pas seulement par ce qu'elle a l'effronterie de dire, mais aussi par ce qu’elle réussit à taire ou –quand cela devient impossible de faire autrement– à minimiser d’effroyable, en le transformant dans une sorte d'haïku ou d'ikebana entouré par un tourbillon de titres en grosses lettres de bagatelles de politique politicienne, d'appels à la trêve institutionnelle et de seins d'escort-girl.
Revenons à ce sujet sur un exemple que nous avons déjà mentionné, la fuite de plutonium disparue du quotidien Il Fatto le 29 mars. Elle réapparaissait le 30 mars, mais seulement dans une «brève», qui est dédiée habituellement à la chronique «Chiens écrasés» et autres faits divers, d’un même format comparable au petit titre publié le même jour par la Répubblica en bas de la première page, où l’on déclarait rien de moins que la situation au Japon y été «pire que Tchernobyl». Cette même idée, est d’ailleurs reprise par Il Fatto le 31 mars, qui cite un ancien directeur de l'atelier mécanique de l'Ansaldo nucléaire, Paolo Ruffatti. Celui-ci y déclare que la catastrophe de Fukushima est «Pire que ce qui s’est passé à Tchernobyl […] et pire que Three Mile Island [incident de 1979, Ndr], là le noyau est resté dans le bac secondaire et ils sont encore en train de le refroidir» (souligné par nous). Selon l'ingénieur Ruffatti, on ne sait pas s'il y a encore de l’eau dans les piscines d’entreposage (et de désactivation des matières radioactives) des réacteurs de Fukushima : «J’en doute -affirme l'ingénieur-. S'il n'y en a plus, le noyau perce [le bac d'acier secondaire puis] la base de ciment, et va finir dans la terre, les nappes phréatiques et l'environnement. [...] il n'existe pas de technologie pour affronter ce problème. […] À peu de mètres [de profondeur], il y a une autre piscine qui contient les barres d'uranium de rechange et le combustible épuisé. J'ai l'impression que l'explosion [il y a eu une explosion depuis le début, Ndr] a aussi endommagée celles-ci, cela veut dire qu'il y a des récipients avec des barres d'uranium enrichi qui ont fini allez savoir où. Une chose qui peut tuer un homme en une heure, mais il faut retrouver les barres d'uranium enrichi, sans eau de refroidissement, elles aussi vont entrer en fusion». L'ingénieur Ruffatti est de ceux-là, sans aucun doute, de ceux qui après avoir fait carrière, et une fois l'âge de la retraite arrivée crachent le morceau. Mais alors pourquoi confiner les faits, au bas d'une page intérieure, comme si ce fût une barre de combustible hautement radioactif ?
C'est seulement le 1er avril que Il Fatto arrive enfin au noyau fondu du problème, page 16, et cette fois-ci avec un petit rappel en bas de la première page, où l'ouverture tonne, comme si nous ne le savions pas déjà : «Gouvernement de déséquilibrés» (quelle nouvelle ! Ils devraient songer à renvoyer le directeur à l'école de journalisme ; ou à l'inscrire à un cours de logique, même à un cours de logique purement mathématique). Mais le fait de reconnu se présente comme l’opinion éditorialiste d'un seul journaliste, Luca Telese, selon lequel le moment est «peut-être venu de rompre le silence nucléaire [...] rien de ce qui nous a été dit n'est vrai. Incident léger […] noyaux qui fondent seulement à moitié, fuites de vapeur radioactive, mais contrôlées: des bobards […] Les fuites ne sont pas contrôlées mais mortelles […]. Les recommandations de tenir portes et fenêtres fermées pendant le nuage ont été criminelles. Le plutonium aborde les toits d'un autre continent. Le premier ministre, Naoto Kan a récité à la perfection le scénario pipé de l'indignation. Le niveau sept, le maximum de la catastrophe, était inscrit comme une destinée, depuis le premier jour, dans les lézardes des enveloppes fissurées.»
Ce scoop inattendu, révélé avec près de vingt jours de retard, aurait dû bénéficier d’un écho et d’une attention des plus importante. Mieux, chacune des affirmations citées, désormais incontestables même pour un convulsionnaire de la marchandise ou pour un flagellant de la technologie la plus avancée, aurait mérité un titre en caractères gros et gras, à la une de n’importe quel quotidien anti-berlusconien, comme Il Fatto ou la Repubblica, alors que le gouvernement Berlusconi se propose de construire à brève échéance quatre centrales nucléaires de troisième génération (celles qui depuis longtemps tombent en ruine, en continuels «petits» accidents, après moins de vingt ans d'exercice en France et ailleurs), avec la réserve d’un moratoire préélectoral d'un an décrété post festum. Cela aurait dû constituer un non négligeable sujet de mobilisation immédiate, pour instrumental qu’elle soit, de la prétendue opinion publique ou de la société civile, qui ont ces « feuilles de chou » pleine la bouche. «Si pas maintenant, alors quand ?» Or ces affirmations ont été tenues cachées avec soin, ou administrées au compte-gouttes au public des citoyens-spectateurs pendant trois semaines, en graduant les révélations avec une emphase inversement proportionnelle à leur gravité. Le rigoureux Luca Telese, en les étalant, a d’ailleurs fait appel à une entité résolument plus abstraite : «Maintenant le monde devrait mettre sous la gestion de commissaire les apprentis sorciers qui agissent avec des logiques impénétrables.» Mais qui est ce «monde»? Car il est difficile qu'une entité si désincarnée puisse parler, qui plus est d’une voix unanime. C'est à une bureaucratie mondiale appelée, avec l'efficacité que l'on sait, à contrôler les conflits et les règlements de comptes entre les bureaucraties nationales, ainsi qu'entre un certain nombre transnationales, qu'il croit devoir faire appel : «Maintenant l'ONU devrait intervenir contre un délit qui prolonge ses effets sur une ère géologique. Par contre, dans le vacarme se cache le silence. Et le bruit des bombes nous distrait de l'essentiel.» Ceci est vrai. Mais il semble que, pour la communication officielle certifiée par la domination spectaculaire, l'essentiel consiste à éviter que la conscience de l'excès du désastre puisse se transformer en facteur de révolte. Aussi dans ce cas, il s'agit d'utiliser les informations disponibles essentiellement en tant qu’arme de chantage, afin de négocier avec grande clameur la gestion paisible de l'urgence, en en disputant les différents aspects aux autres bureaucraties en lice pour exercer la même tâche. Il s'agit de décider lesquelles seront à même d’interpréter le rôle des bons bergers10 capables de mener le troupeau des spectateurs, confus et effrayés mais somme toute, comme ils l’espèrent, en bon ordre, dans le long itinéraire touristique à travers les abattoirs industriels qui ont été prévus pour lui. «Dans le monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux», (Guy Debord, La société du spectacle, 1967).
Si le catastrophisme représente ce qu'il y a de plus moderne dans la bureaucratisation en cours, le pacifisme en incarne le côté le plus archaïque. Caricature œcuménique de l'internationalisme du mouvement prolétarien du XIXe siècle et de l'antimilitarisme qui avait accompagné sa résurrection pendant les tentatives révolutionnaires des trois premières décennies du XXe siècle, le pacifisme a été un des principaux instruments employés par les totalitarismes de toute couleur pour s'assurer une pénétration idéologique dans le champ adverse. Il a constitué la justification de la comédie de la non-intervention des principales puissances dites démocratiques dans l'Espagne révolutionnaire assiégée par les franquistes, massivement appuyés par l'Allemagne nazie et par l'Italie fasciste, pendant que le stalinisme la désagrégeait de l'intérieur avec l'aide d'autres forces républicaines. On sait comment cela a fini : les staliniens se libérèrent de manière sanglante de leurs adversaires anarchistes et poumistes, pour encaisser le pacte Ribbentropp-Molotov, qui laissait les mains libres aux grandioses programmes nazis d'expansion.
«Un fait particulier dans la biographie de Sarkozy en dit long sur son expérience dans la manipulation médiatique. En 1987, il était chargé de mission pour la lutte contre les risques chimiques et radiologiques en sein du Ministère de l'Intérieur. À ce titre, Sarkozy a été de fait conseiller à la "communication" du gouvernement sur les conséquences de la catastrophe [de Tchernobyl]. Peu de gens, sauf les victimes du cancer de la thyroïde, se rappellent l'énormité des mensonges officiels à cette occasion -le nuage radioactif s'était arrêté à la frontière, il n’y avait absolument rien à craindre, etc.» (“L'Achèvement”, Conditions modernes de la domination, 2008).
Ainsi11 puisque l’ordre du jour est à la paix, on oublie le nucléaire «civil», pour évoquer seule et bien mal à propos la guerre nucléaire (l'affiche d'Einstein date d’ailleurs de 1955 et non de 194112 : ainsi dans les mobilisations de l'opinion, la main droite ne sait pas ce que fait la gauche, celle d'un samedi oublie celle du samedi précédent.
Demander à Sarkozy comme équitablement à Kadhafi de «cesser le feu, d'arrêter la guerre, la violence, la répression13», c'est déjà apprendre à s'en remettre à eux, ça serait comme invoquer une Protection Civile qui sache mieux contrôler tous les désordres : des réfugiés, aux explosions nucléaires, aux révoltés.
Les Egyptiens sont depuis peu remplacés dans le spectacle de l'actualité parce qu’ils ne sont pas encore réduits en victimes à secourir: ils ont agi, et peu pacifiquement, pour démanteler leur «service de sécurité ».
Nous avons encore plus de bureaucraties de protections à éliminer, et avec elles toutes les productions qui les rendent si indispensables.
Italiens, encore un effort si vous voulez être républicains...
Rome, le 2 avril et le 12 juin 2011.