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Accueil » En tout état de cause, communes » 10- Corrélativement, à gauche, à droite et à gauche à droite
Avec l’effondrement des conditions biologiques de notre survie et, corrélativement avec la mainmise de la technoscience sur la survie et la reproduction biologique ; avec l’impuissance grandissante des êtres humains sur le cours de leur existence, vidant de leur substance les concepts de raison, de liberté et de démocratie ; avec l’impuissance grandissante, le recul et l’affaiblissement de l’Etat ; avec la privatisation des biens communs, les luttes et conflits se sont déplacés sur les conséquences de la société de classes, qui n’est plus celle du XIXe siècle ni du début du XXe siècle, et prennent une autre figure.
—Du côté conservateurs, certains voudraient un retour en arrière, réenraciner les populations, l’homme, « simplement leur désir s’accompagne d’images dont la plupart, au lieu d’être relatives à l’avenir, sont empruntées à un passé d’ailleurs en partie fictif. Les autres désirent purement et simplement maintenir ou aggraver la condition de matière humaine à laquelle le prolétariat est réduit1. » — Il n’y a plus l’illusion gauche-droite, tombée avec celle des partis politiques, quels qu’ils soient, l’autre facette de l’effondrement de tout lien. C’est par centaines de milliers que les « citoyens » sont ballotés d’un extrême à l’autre, avec des partis jetables une fois le leader consommé. Voici pour la civilisation des loisirs un bon exemple. En même temps la lutte contre la société de classes et ses fondements, pour sauvegarder notre planète, nous-mêmes, le vivant et sa diversité, est d’actualité.
Mais les systèmes totalitaires, dit-on, reposent sur la dissolution des classes sociales en société de masses, auparavant représentées par les vieux partis démocratiques. Aujourd’hui la dissolution de notre démocratie parlementaire survient avec la banqueroute et l’effondrement des vieux partis gauche-droite démocratiques et celles du parti politique en général, ce qui fait mécaniquement, émerger les extrêmes, et laisse sur le pavé des îlots de population séparés les uns des autres par des murs de béton et par la haine entretenue. Depuis les systèmes totalitaires on n’avait pas envisagé qu’un système ou une organisation « démocratique » puisse réussir à détruire l’identité individuelle, ou celle d’une population, de façon permanente. Le problème n’est donc pas que le « peuple », qui n’a jamais été un élément homogène, n’existerait plus, ou qu’il serait divisé en « bon » et « mauvais » peuple : le travailleur honnête pur et bon d’un côté, et tout le mal qui viendrait du métèque, du juif ou de l’arabe, du chômeur et du jeune des banlieues, de l’autre.
Une fragmentation de peuples dont la cartographie est brouillée par la désastreuse marchandise, sa logique de l’intérêt, partout. Le sublime et mesquin intérêt individuel concurrent avec la multiplication des crises qui rongent toute la société et sapent le capitalisme sur ses propres bases. Mais même avec toutes les catastrophes, le capitalisme ne disparaîtra définitivement que lorsqu’il rencontrera ce rien : des individus en tant que rien de spécial2, ces individus sans identité figée, ces individus singuliers, un imaginaire qui contrecarre celui, actuellement hégémonique, de la croissance illimitée, du progrès technologique contre l’humain, de l’absence de tout sens éthique, de la concurrence généralisée de la société de classes. Ce changement ne pourra être le fait d’un prolétariat, d’une classe, d’une ethnie, d’un parti politique, ni le fait d’une quelconque « victime » ou minorité visible. Ce changement sera le fait d’individus sans qualités, émancipés des catégories présentes, dans un refus de la catégorisation sociale qui, à elle seule, maintient en place le présent ordre social. Un changement, une subversion, qui se signifie et prend sens en dehors tous secteurs sociaux, de toute niche sociale accaparée par les spécialistes ou les professionnels de la représentation, en dehors de leurs bulles schizophrènes liées à la consommation, à la production aliénée, au clientélisme. Les luttes sociales actuelles protéiformes qui prennent forme, dans le monde globalisé, sont une réflexion politique qui remet en question la nature de la prétendue richesse capitaliste : "plus rien à défendre du capitalisme si ce n’est sa chute", une percée sur la reconnaissance de l’individu et, de la démocratie directe à l’heure de la chute de quelques despotes particuliers, une percée contre la corruption généralisée : « Ce n’est pas par hasard si la révolution tunisienne a commencé contre le chantage du travail, et a chassé, dans les mêmes personnes, les plus grands capitalistes et aussi bien que chefs de la “mafia” et les tyrans politiques (histoire traduite dans www.abbastanzanormale.it) : mais cette libération a été interrompue —comme en Egypte— en imposant comme obligation de choisir des professionnels de la politique pour décider de la constitution et pour gouverner. Un Etat de minorité sous tutelle, dirait Kant : le même qui persiste en toutes "nos" démocraties3. »
Le travail et le travailleur sont sans plus aucune valeur. La robotique, pour la production de pacotilles, remplace avantageusement le travailleur, comme pour les peuples en Afrique et ailleurs « libérés de leur sauvagerie », dans le monde plus dur, plus précaire, plus réactionnaire, plus pervers : la robotique, la justice et la loi, sont arbitrairement tout et le dialogue rien, condamnant chacun à perdre toute confiance, envers ses propres expériences subjectives et sa propre capacité d’auto-organisation collective, renvoyant les individus mués en ghettos à s’opposer les uns aux autres dans une concurrence acharnée, au bureau comme dans la vie quotidienne, dans la suspicion entre femmes et hommes. Une fois que l’on a accepté la logique de ce totalitarisme ligth, habitué à ce qu’on n’ait plus de prise sur sa vie ni sur son éducation, ni sur celle de ses enfants, une fois désarmé de toute critique, c’est alors la justice qui répond de tout, qui statue sur tout et sur n’importe quoi : l’homme définitivement dépossédé de tout, de ses modalités d’interaction avec l’autre, de sa liberté. Des violences conjugales aux actes de haine raciale et, aux crottes de chien sur le trottoir —les professionnels de la justice ont parfaitement assimilé la mécanisation des relations, en tant que mécanique du pouvoir et de contrôle social—. Une construction-déconstruction du monde dans tout ce qui le composait, et auquel il croyait, et tel qu’il est devenu : pauvre, informe, violent, sans direction ni centre ni horizon, misérable. Et collabore à cet appauvrissement, la société entière est soumise à une logique démente, aux sciences modernes et à la conception évolutionniste et (techno)progressiste de l’histoire (le sens de l’histoire), contribuant au jour le jour, à détruire la politique, la remplaçant par une affaire technique. Ainsi, le candidat François Hollande (PS), lors de la campagne présidentielle (en mars 2012), propose le remplacement du concept de « race », —c’est-à-dire de l’interdire constitutionnellement— par celui de « diversité » : plus de politique mais du technique. La technique moderne a acquis une parfaite autonomie, il n’y a plus de pilote pour la langue du politiquement correct, cette novlangue est dorénavant automatique. Elle supprime l’affrontement critique de tout ce qui a été construit, le dialogue et l’éducation. Elle est une technique qui demande de renoncer à notre propre volonté d’affrontement, de remplacer une fable par une illusion, ou, si l’on veut, un Sarkozy par un Hollande. Elle est la fiction narrative construite sur la réalité telle qu’elle est du système qui sans être totalitaire en apparence, voudrait que chacun agisse conformément aux règles d’un monde fictif, qui répond à tout et de tout. Mécaniquement la société s’est muée en une société de masses avec l’effondrement des partis politiques et des classes sociales, en quartiers et sans boussole, alors que le sacro-saint cours de l’histoire s’est encastré contre un mur. Une mue ni favorable pour le capitalisme, ni pour les masses sans valeur et sans carte d’état-major, le jugement de l’histoire, comme celui de dieu, ne fera plus trembler les malheureux « à contre-courants ». Rien n’étant écrit, tout est possible, même en terme de destruction.
De même, il n’y a plus de raison de douter que nous sommes capables de détruire toute vie organique sur terre au même titre que nous sommes capables de faire naître des enfants créés en éprouvette —une banalité qui ne crée même plus d’émotion—. Ni même l’abîme repeuplé, même avec la production en laboratoire d’animaux transgéniques qui sert, entre autres choses, à étudier quelles mutations devront subir les humains pour cohabiter avec la radioactivité, la pollution chimique et électromagnétique, etc.
Mais à ce stade sans bonheur, le négatif, c’est-à-dire le capitalisme, a lui-même détruit les vieilles valeurs et idéologies bourgeoises, tels que le travail, la famille, la patrie. Dans le Contrat de Première Embauche (CPE) (loi abolie par des luttes sociales contre l'économie), on y retrouvait tout le mépris envers les futurs travailleurs : malléabilité et, précarité, retranscrits par la novlangue en « flexibilité ». Le mépris de cet esclave salarié, « le sujet automate », dédaigné parce qu’il ne servirait que les basses nécessités de sa propre survie ou de celle de sa famille, jetable à tout instant, remplaçable par un robot : « le dernier stade de la société de travail, dit Hannah Arendt, la société d’employés, exige de ses membres un pur fonctionnement automatique4 ». Tout le mépris de ce qui n’est pas la valeur argent cette abstraction dont le « sujet automate », cet employé, est exclu, comme de la civilisation des loisirs. A peine entré, il en est rejeté. Devenu alors chômeur, il est mis à l’index, voleur et paresseux vivant sur le dos des travailleurs. Le sujet automate est non seulement celui d’en bas, mais il se retrouve également dans presque toute la hiérarchie, toute autant méprisée, qu’un domestique. Le travail n’est plus l’activité sociale qu’il était, il n’a plus de sens : socialement et anthropologiquement parlant, il ne crée plus de lien et ne construit plus de communauté. Il désolidarise et l’extrême mécanicité de ses tâches, complètement désolidarisée du tout produit, le rend simplement absurde. On ne travaille plus maintenant, on ne crée plus en 2012, on ne confectionne plus : on cherche un salaire. Le travail n’est qu’une négativité mondialisée, avec ses conséquences directes : la pollution, les maladies, pauvreté de la production, pauvreté du producteur et ses souffrances et suicide dus au travail. Le travail dévaste la famille et la patrie, et dans le même temps les rapports civiques et citoyens, les rapports entre employés, les rapports sociaux.
La famille est une survivance archaïque gélifiée par la bourgeoisie, elle reste le modèle des néoconservateurs et est d’un intérêt réel pour le marchand ; mais elle est un obstacle pour la flexibilité de l’emploi (principalement celui des femmes) et elle est un obstacle pour les logements chers. L’éducation, qui fût un temps prise en charge par l’Etat est privatisée, abandonnée aux marchands. Quant aux familles, il y a bien longtemps qu’elles n’éduquent plus leurs enfants, elles n’en ont ni le temps, ni le goût, ni aussi les moyens financiers et ou intellectuels. La dynamique du capitalisme ne peut s’empêcher de détruire ses valeurs éthiques, quelles qu’elles soient, même celles qui lui assurent la pérennité de la consommation de ses marchandises. Et la question n’est pas de savoir si le capitalisme peut ou pas se passer de la famille : il la détruit comme il le fait de toute chose, de toute institution, de toute valeur, c’est dans son caractère. Le capitalisme par sa dynamique aboutit à la destruction de toute forme de lien, de culture, et donc de solidarité.