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Accueil » En tout état de cause, communes » 12- Résistances et démocratie directe, lien et repère politiques des néoréformateurs et des contestataires radicaux
« Seul l’homme peut exprimer cette distinction et se distinguer lui-même ; lui seul peut se communiquer au lieu de communiquer quelque chose, la soif, la faim, l’affection, l’hostilité ou la peur. Chez l’homme l’altérité, qu’il partage avec tout ce qui existe, et l’individualité, qu’il partage avec tout ce qui vit, deviennent unicité, et la pluralité humaine est la paradoxale pluralité d’êtres uniques1. »
Le don n’est pas une chose, il est toujours « une relation sociale synthétique a priori, qu’il est vain de vouloir réduire aux éléments qu’il relie2. » Des liens comme repère et des repères comme liens, là où tout ou presque tout a été déconstruit délité ou totalement détruit, la démocratie directe est avant tout une relation sociale incarnée par des individus ordinaires, une organisation vivante. Autrement dit, la vie ordinaire de la « cité » démocratique est une transformation incessante de ses organes, où la modernité est seul le rapport social, d’individus, d’émancipation : l’opposé absolu de toute autre forme de « démocratie », l’opposé de la modernité économique ou technologique, des pauvres copies qui ne sont, en général, que de coquilles vides qui excluent le social, l’individu et la singularité : le dialogue.
Cette démocratie directe est une relation sociale, qui prend en compte la nature de l’homme, sans idéalisation, elle est une forme de relation sociale d’humains avec toutes nos imperfections. L’homme, c’est-à-dire soi, est corruptible, et c’est ce que le capitalisme et les pouvoirs totalitaires exploitent. La corruption, ou, la reconnaissance de soi —séduire, être séduit— est commune à chacun. C’est ce que savaient les Athéniens à l’époque de Démosthène, problème qu’ils avaient solutionné d’une manière politique en diminuant le pouvoir des magistrats, par le tirage au sort : en ne se fondant pas sur l’idée que tous les hommes sont égaux en compétence, mais qu’ils sont tous assez compétents pour ce qu’on leur demande. Ce rappel que, ce qu’on appelle un peuple, ce qu’on appelle un individu, c’est-à-dire une forme de souveraineté, exige aussi un don de son temps pour s’en ressaisir. « On fait souvent aussi, et à juste titre, la remarque que cette démocratie n’était pas seulement une constitution et une série d’institution, mais un mode de vie3 ».
C’est par le langage, qui fait de l’homme un animal politique, que notre planète re-découvre la démocratie réelle, sa pratique, dans ce large mouvement international de rupture de l’isolement que représente le mouvement des occupations. Et assurément, notre modernité est très ancienne, ce que démontre, s’il le fallait, ce mouvement actuel de démocratie. Démocratie qui n’est pas un but mais un moyen radical, au sens de racine et comme de radicalité résistante, elle est lutte radicale et remède politique radical. « Mais, dit Anselm Jappe, dans tous les cas ces antagonismes ne coïncident plus avec les anciennes lignes de partage constituées par la "lutte de classes"4. » C’est un point important que soulève par la pratique ce mouvement, sans idéalisation : retrouver du sens commun dans et par des occupations stratégiques des places et des rues, libérées de la privatisation marchande et du pouvoir central régalien de l’Etat, incarnant tout le pouvoir de la société de classes, de facto sans classes. Intelligentes et habiles, ses occupations, se font sur les domaines publics, jusque là usurpés et accaparés par la puissance de l’imposture de la marchandise et celle de son protecteur l’Etat5. Domaines occupés et réappropriés par des individus en tant que rien de spécial, hors classes, hors spécialisation politique et sociale, hors catégories, hors identité sociale déterminée et déterministe : ceux-là s’y sont reconnus, s’y sont dévoilés, et n’ont pas eu besoin de qualité et de titre héroïques. Souverains, auto-adoubés, ils redécouvrent donc la politique et renversent cette fatalité du peuple qui a abandonné la politique est un peuple proche de la ruine. Ces expériences de démocratie directe démontrent, s’il le fallait, que l’on peut faire sans les professionnels politiques, sans les juges, sans les partis et sans les bureaucraties, que l’on peut développer le dialogue direct par delà les anciennes divisions et par delà les lignes de séparation instituées, de séparation —le racisme, le sexisme, les catégorisations sexuelles, etc.— en suspendant pratiquement les antagonismes et les anciennes lignes de partage constituées par la "lutte de classes". On comprendra, dès lors, pourquoi les partis et organisations de gauche ne peuvent y participer, professionnels qu’ils sont de la corruption, du dévoiement, du mensonge et de la pauvreté organisée. Les partis politiques relèvent de l’Etat, ils sont à la fois garants et acteurs de l’organisation de la division sociale articulée autour de l’Etat, et l’Etat est une chose froide qui ne peut être aimé ; mais il tue et abolit tout ce qui pourrait l’être ; ainsi, dit Simone Weil6, on est forcé de l’aimer, parce qu’il n’y a que lui. Tel est le supplice moral de nos contemporains. On peut dire aujourd’hui que l’Etat, l’argent et la marchandise ont remplacé tous les autres attachements.
Que les partis politiques, les bureaucraties, considèrent ce mouvement du seul point de vue des ruines qu’ils ont produites et d’où ils se tiennent, qu’ils essaient bien de comprendre ce qui arrive sans eux et de s’en arranger, de se trouver une dignité tout à fait inattendue, est déjà en soi un fait sans précédent —c’est déjà une victoire pour ce mouvement—. Mais la vérité et la réalité ont depuis longtemps quitté leur bord, et le bord des chauds jugements d’intellectuels qui jaugent tout à l’aune de la domination. Quant à l’état de la presse des mass médias il se résume ainsi : Sexe, Sang, Sport. Notre époque est tellement empoisonnée de mensonges qu’elle change en mensonge tout ce qu’elle touche.
Et nous sommes de notre époque, et lorsque l’on juge ce qui n’est pas nous, nous ne trouvons, après tout, que les schémas de notre esprit, mais trop souvent de notre esprit colonisé. La malveillance et le dénigrement sont les deux caractères de l’esprit français, disait Châteaubriant, caractère aujourd’hui mondialisés. « Quant au caractère des journalistes, il est imprimé en toutes lettres dans les titres sur la journée du 25 Avril7 : "Sifflements des No-Tav sur la place"..., (la Repubblica-Torino), "Les No-Tav contestent les partisans, Polverini**Présidente (de droite) de la Regione Lazio, dont dépend Rome. ** ne va pas au cortège", (Il Fatto Quotidiano). [Ces deux titres volontairement ambigus, laissent entendre que les No-Tav auraient sifflé tout le monde, y compris les anciens « partisans » antifascistes, les journalistes renvoient ici les No-Tav comme étant des extrémistes, antipatriotiques et anti-démocratiques, partisans qualifiés de terroristes. Des terroristes comme ceux, de gauche et de droite, qui auraient été tous coupables des violences du terrorisme d’État lors des « années de plomb » en Italie —où les « extrémismes opposés », réels comme spectaculaires, furent l’instrument de l’État.] Quand les No-Tav « défilaient avec les partisans [antifascistes] du Val Susa et ont sifflé "leurs" représentants politiques pro-Tav8 », ce qui dément donc les allégations mensongères journalistiques. « Dans ce que nous nommons de ce nom, jamais, dit Simone Weil, le peuple n’a l’occasion ni le moyen d’exprimer un avis sur aucun problème de la vie publique ; et tout ce qui échappe aux intérêts particuliers est livré aux passions collectives, lesquelles sont systématiquement, officiellement encouragées9 », par les partis politiques et les journalistes.
Comment faire sans les politiques et les juges professionnels, comment faire sans les partis et les bureaucraties, tout en sachant que la nature humaine est complexe dans ses amours, ses haines, ses craintes, ses violences et ses passions. Et comment faire avec l’indifférence aux affaires publiques, la neutralité en matière politique, qui sont aussi des causes de développement de totalitarismes —sauf que dans notre société, il n’y a pas de structure de l’ordre nazi ou stalinien—. Le système capitaliste fondé sur la compétition et la consommation de foules atomisées, a provoqué l’apathie et même l’hostilité envers la vie publique, envers les partis politiques, et non seulement dans les couches sociales qu’il exploite et exclue de la production active et de la consommation. Ainsi l’atomisation massive de notre société a été obtenue par la liquidation progressive de tout lien, où chacun est l’étranger de l’autre, substitué par la production libre d’identité fictive, d’individus indifférenciés. Certes, l’ordre social, quel qu’il soit, est plus ou moins un ordre oppressif sur l’individu ou les minorités, et à la brutalité guerrière vient s’ajouter la présence inéluctable de la violence dans les affaires et dans les rapports humains. Mais, jamais d’ordre social, sauf les totalitarismes du XXe siècle, n’avait mené si loin, jusqu’à l’abomination de soi.
Dans une époque de corruption, de désintégration et de banqueroute politique et économique, ce mouvement des occupations pose ses marques et renouvelle la politique, sans professionnel politique ni expert, ni bureaucratie. Réaffirmant pratiquement et publiquement que les partis politiques quels qu'ils soient entretiennent la démission, le renoncement, ou le fatalisme et la servilité. Un mouvement où l’on ne sépare pas l’ouvrier et l’employé du passant, le chômeur et le squatteur de la femme au foyer, l’agriculteur de l’intellectuel, etc. Là où l’on ne s’isole pas derrière les hauts murs des bureaux et des usines, ni où l’on se cache derrière les idéologies. Là où le travail retrouve une valeur sans être le centre. De l’auto-organisation naît la valeur politique : se retrouver, se réunir souverain pour délibérer sur tout et ne laisser aux professionnels et aux ambitieux aucun pouvoir de décision10. Ce que porte ce mouvement n’est pas tant dans des revendications apparentes où pourraient s’ancrer des ambitions et la corruption, mais dans le principe politique qu’il contient du dur apprentissage de la démocratie : écartés les ambitieux et tous les dangers, la concentration des pouvoirs, le recrutement exclusif au sein d’une élite, l’affairisme politique et le professionnalisme. Professionnels et ambitieux eux, recherchent un programme, des revendications rationnelles —le pouvoir d’achat et autres misérabilismes du genre—, ils recherchent les dirigeants ou les interlocuteurs prêts à vendre le mouvement. Sans aucune illusion quant aux partis politiques et, à leur caractère nocif, ce mouvement est « un réquisitoire sans appel possible contre le crime de démission et l’esprit de renoncement à ses prérogatives les plus inaliénables qu’entraine le mode de fonctionnement des partis. (…) Contre l’entretien de la servilité et les formes agressives qu’elle développe, il est temps que se dénombrent ceux qui estiment (…) que "la suppression des partis serait du bien presque pur". Il va sans dire qu’une telle suppression (…) ne peut se concevoir qu’au terme d’une assez longue entreprise de désabusement collectif11 ». Un désabusement collectif dans une époque sans puissance, mais aussi un désabusement que ce mouvement incarne et auquel il répond. Il redonne du lien et du langage, et en révélant l’action et le sujet, ce large mouvement manifeste et affirme qu’il n’y aura dorénavant plus de robots mais des humains avec leurs qualités et leurs imperfections, exécutant des actes compréhensibles et accessibles pour tous, comme un acteur qui annonce ce qu’il fait, ce qu’il a fait et ce qu’il veut faire —quand un spécialiste d’un parti quelconque parle, il y a toujours un interprète pour expliquer, au peuple, ce qu’il vient de dire—. « … la démocratie directe autorise, et même favorise, la remise en cause de ses propres organes institutionnels, de manière qu’ils se renouvellent et se recomposent en permanence — au gré du hasard [tirage au sort] aussi bien que des affinités de la masse des citoyens — masse qui n’a donc plus à recourir à la violence révolutionnaire contre des institutions figées. La vie de la cité démocratique consiste ainsi en une transformation incessante de ses organes12. »
La démocratie athénienne (V-IVe siècles av. J.-C) à quoi nous nous référons ici, et qui, selon la phrase consacrée, ne fut pas parfaite —les femmes étaient notamment absentes, l’esclavage existait, sous une forme toutefois différente de celle de l’époque moderne en Europe—, éclaire la démocratie parlementaire de notre époque, où la seule décision qu’il nous reste, la seule que nous avons le droit (le devoir, l’obligation civique) de prendre, c’est de choisir nos décideurs et après : obéis et consomme ! Les Athéniens tiraient précisément leurs magistrats au sort pour être sûrs qu’ils ne seraient pas les pilotes de l’Etat : diminuer leur pouvoir était bien l’un des propos de cette procédure. En étant ainsi recrutées, les magistratures perdaient l’attrait qu’offre toute arme efficace dans la lutte pour le pouvoir.
Dans une démocratie réelle, la volonté de limiter le pouvoir des « magistrats » (délégués) s’associe avec celle de faire servir tout un chacun à son tour en qualité de magistrat (ou délégué). La rotation est assurée en partie par une multiplication des postes aussi grande que possible : si, par suite, une très large proportion de la population civique est destinée à exercer tôt ou tard une fonction, le tirage au sort est le moyen logique pour le réaliser. Même en démocratie, certaines charges, prestigieuses et avantageuses, sont plus convoitées : le tirage au sort assure que la question de savoir qui les obtiendra sera réglée par le hasard, alors que l’élection ouvre le champ aux querelles et, en dernière analyse, à la stasis13 : les démocrates préféraient le tirage au sort parce qu’il prévenait la corruption et les divisions du corps civique. Après le tirage, les candidats devaient tous se soumettre à la docimasie, de manière à donner au Tribunal du Peuple la possibilité de récuser sur l’heure quiconque pouvait être soupçonné de tendances oligarchiques.
Empêcher la mise en place d’une élite de décideurs : ni spécialiste, ni professionnel ni expert, il était interdit d’exercer deux fois la même magistrature.
Se réunir pour délibérer sur tout et de ne laisser aux magistrats aucun pouvoir de décision, réduits au rôle de simples administrateurs. La durée de leur fonction devait être aussi réduite que possible.
Tout devait être décidé par l’Assemblée, rien par les magistrats. Ils devaient en principe exercer leur pouvoir en collèges et non individuellement.
Autant de garde-fous qui ont été, petit à petit, concédés.
Sur la question de l’étranger, la démocratie Athénienne faisait Athénien le « métèque », à titre honorifique. De même qu’étaient intégrés les étrangers lors de la révolution Française de 1789, les frontières n’avaient plus d’importance, les étrangers étaient seulement ceux qui demeuraient esclaves des tyrans, les étrangers d’âme vraiment républicaine étaient volontiers admis comme Français à titre honorifique.
Mais, maintenant, et on le sait, il est également possible d’autogérer sa propre misère et son aliénation, il est possible d’autogérer des entreprises produisant des poisons, des pesticides, du nucléaire, etc. Le capitalisme polymorphe peut tout aussi bien s’engager dans la voix d’une « démocratie directe » bien entendue aménagée afin que les « masses-citoyennes » se contrôlent et règlent d’elles-mêmes les désordres sociaux —ou l’immigration, les squats, par exemple— et les catastrophes produites par la société industrielle ou ceux de la société de classes ainsi libérées de toute ces contingences : obligations politiques, sociales, écologiques toutes reléguées dans les bras du consommateur-citoyen, auréolé de devoirs et de responsabilités nouvelles semblant lui ouvrir un champ de pouvoir sur son existence et un champ d’action au sein de la collectivité, là où le capitalisme, flairant l’aubaine, le charge finalement de faire le sale travail. Oui, la démocratie directe n’est pas une fin en soi, elle n’est et ne doit être qu’un outil dans les mains d’individus décatégorisés, en tant que rien de spécial. Car il ne s’agit nullement ici de réformer le capitalisme, ni de retourner en arrière avant le capitalisme financier, ni de s’engager sur des réformes structurelles de la société de classes, mais bien d’en sortir, de ne plus rien laisser, de se débarrasser de tout (hormis les dégâts industriels dont il faudra du temps, beaucoup de temps, pour s’en protéger et les éliminer).
Il n’y a plus fidélité d’appartenance de classe, ni même dans ce qu’on appelle encore la famille, ou dans le couple14 qui agit de la même manière qu’avec la marchandise qu’on a appris à jeter et remplacer avant usure —car c’est ainsi que s’exprime et, l’exprime la marchandise et la publicité qui en est faite—. Ce consommateur qui ne sait pas ce qu’il veut, choisit des choses qu’il n’aime pas, et ce raisonnement est valable partout pour tout : il n’y a pas plus de fidélité envers les partis politiques et leurs leaders consommables et jetables qu’envers telle marque de lave-vaisselle, ou, parfois, tel compagnon ou telle compagne. Ainsi, il n’y aurait que l’Etat où la fidélité persisterait et à qui l’on pourrait/devrait s’accrocher ? Mais voilà que l’Etat lui-même est haïssable, dans le seul rôle qu’il lui reste : régalien et répressif de l’Etat-pénitence. Et que dire de la dangerosité des représentants de l’Etat, qui disputent la médiocrité à la stupidité. Et plus l’Etat est faible plus il est violent, plus il est violent plus il s’affaiblit. Nous le constations encore entre le Front de gauche (Mélenchon15) et le FN (le-clan-Le-Pen) qui s’opposent en s’accordant néanmoins sur la question de l’Etat fort et souverain et, d’un chef d’Etat d’autorité dans une France souveraine (française, identitaire et souveraine pour le FN). Un raisonnement absurde, destiné aux aveugles, qui croient ou font mine de croire que seul un Etat puissant est capable de justice, face à la désagrégation du capitalisme et de l’ensemble de la société, dans une France où l'on est que des immigrés —c’est-à-dire des dépossédés—. Peine perdue : arrogance des uns ou des autres, ils finissent tout de même comme tous les autres partis, haïs, impuissants et sans souveraineté.
Et ce n’est pas le seul combat contre le FN, haïssable, mais l’on dira de même du Front de gauche, autoritaires, flatteurs, bonimenteurs, et leur supercherie mise en spectacle, qui changera quoi que ce soit.
Ni un retour de la gauche, laissant croire, illusoirement, à un redoux de justice sociale.
Le même mal les consume.
Tout cela ne sont que des illusions qui détournent notre attention, qui nous laissent seuls avec soi-même, dépossédés, livrés à une sorte de vie sans forme et sans amour, envers le social et l’individu, cette vie inhérente au capitalisme même. Dans tous les cas ces antagonismes ne coïncident plus tout à fait avec les anciennes lignes de partage constituées par la "lutte de classes". Et après tout, dans cet horrible nouveau monde, dans cette société qui occulte les classes sociales avec nivellement de masse de la misère (matérielle, sociale, relationnelle, politique) sur toute la planète, il ne subsiste plus que des étrangers, étrangers que nous sommes de nous-mêmes, dominés par la technique du mensonge, esclaves au service des technologies de contrôle et esclaves de la vie mécanique et mécanisée. « Après quelques années de pouvoir (…) les nazis pouvaient proclamer avec raison : "La seule personne qui soit encore un individu privé en Allemagne, c’est celui qui dort.16" » La seule victoire, probablement, de notre société sur les systèmes totalitaires, est qu’elle puisse dire, démocratiquement, par le tout contrôle par les technosciences : Plus une seule personne n’est encore un individu privé en France, même celui qui dort. Justice et légitimité sont tout à fait mortes dans la société qui se ment à elle-même. Le mensonge, ou mieux encore, l’opacité est le véritable contrôle et procure le profit et son business. Il en va de même pour les technologies (de production, de contrôle, de domination, de soumission) dont la règle d’or est l’opacité car telle est leur seule force, lorsqu’on en a plus. Le mensonge est dans l’opacité de tout le processus de production et de contrôle social, vrai ou faux, réalité ou fiction, leurre-spectacle, leurre-business. La technique de gouvernement est inspirée de celle de la marchandise, le secret et l’opacité y sont un mélange de vrai et de faux : dit autrement, le vrai est l’alibi du faux et inversement. En finalité tout y est faux.
Passons de l’autre côté, du côté opposé. C’est à cause des réseaux sociaux, ce qui désigne des relations humaines, existants17, avec ses innombrables conflits de volontés et d’intentions, à cause de ce médium, dans lequel il n’y a de réel que l’action des relations sociales, que, ce que l’on a pu considérer comme des îlots séparés dans l’espace et le temps, des émeutes de banlieues en France, de 2005, de la « libre commune » d’Oaxaca de 2006, aux révoltes de libération du Maghreb en 2011, aux émeutes de Londres, 2011, esquissent une cartographie générale et étendue qui, globalement, renvoie à cette lutte contre l’Etat régalien, despotique, mafieux, où l’on ne se sacrifie plus pour lui, mais où on est contre lui et contre l’injustice, le clientélisme, la corruption et l’opacité qui le régissent. Ce mouvement d’occupation est une réponse possible, contre l’économie à Athènes, à Madrid, aux USA, à Montréal, en Italie avec les No TAV, dans le dessous des cartes de notre époque se trouve le possible de la reconstruction de liens par des moyens politiques et sociétaux, se retrouvent les racines du vivant et la domestication des technologies au service de l’homme qui s’émancipe, qui s’émancipe des mécaniques économistes et de la société de classes, et de toute société de masse, qui persistent encore, l’homme qui s’émancipe de la mécanisation des relations humaines. Justice et légitimité, renaissent par les actes sur la place publique, sans couper le pont entre poésie et politique ou cet infini contenu dans un contour.18.