"J’ai rêvé d’un cimetière où les épitaphes étaient bizarres, 1822-1826, 1930-1934... on meurt bien jeune ici, dis-je à quelqu’un ; un temps très court entre la naissance et la mort. Pas plus qu’ailleurs, me répondit-on, mais ici seules comptent pour années de vie les années qu’a duré une amitié. Buvons à l’amitié !"
Monsieur Arkadin d’Orson Welles, repris de La société du spectacle, Guy Debord
Quoi ? Je vaux plus qu’une fleur
Parce qu’elle ne sait pas qu’elle a de la couleur et que moi je le sais
Parce qu’elle ne sait pas qu’elle a un parfum et que moi je le sais
Parce qu’elle n’a pas conscience de moi et que moi j’ai conscience d’elle ?
Mais qu’est-ce qu’à une chose par rapport à une autre
Pour en être supérieure ou inférieure ?
Oui, j’ai conscience de la plante et elle n’a pas conscience de moi.
Mais si la forme de la conscience c’est avoir conscience, qu’y a-t-il dedans ?
La plante, si elle parlait, elle pourrait me dire : Et ton parfum ?
Elle pourrait me dire : Tu as conscience parce qu’avoir conscience est une qualité humaine
Et moi je n’en ai pas pour la seule raison que je suis une fleur sinon je serais homme.
J’ai un parfum et toi tu n’en as pas, parce que je suis fleur...
Mais pour quoi me comparer avec une fleur, si moi je suis moi
Et si la fleur est la fleur ?
Ah, ne comparons rien du tout, regardons.
Laissons-là analyses, métaphores, similitudes.
Comparer une chose à une autre c’est oublier cette chose.
Aucune chose n’en rappelle une autre si nous mettons toute notre attention sur elle.
Chaque chose ne rappelle que ce qu’elle est
Et elle n’est ce que rien d’autre n’est.
La sépare de toutes les autres le fait qu’elle est elle.
(Tout est ce rien sans autre chose qu’il n’est pas.)
Alberto Caeiro, dans Poèmes non assemblés
Traduction : Patrick Quilllier, Bibliothèque de la Pléiade (Gallimard)