Cet ouvrage, paru pour la première fois en 1977, propose une réflexion tout à fait originale sur un sujet encore assez peu étudié à l’époque, les mécanismes de la violence guerrière dans les sociétés primitives. Pierre Clastres (1934 - 1977), ethnologue et anthropologue français, s’est fait connaître par la qualité de ses travaux en anthropologie politique, son engagement anti-autoritaire et son extraordinaire biographie des indiens Guayaki du Paraguay disponible dans la prestigieuse collection Terre Humaine. Philosophe de formation, il a été influencé par la pensée de La Boétie, d’Alfred Métraux et de Claude Lévi-Strauss. Il fut directeur d’études à la cinquième section de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes avant de mourir prématurément dans un accident de la route, laissant une œuvre majeure derrière lui.
« Archéologie de la violence » s’inscrit dans la continuité de son ouvrage le plus connu, « La société contre l’état » où il critique à la fois les concepts évolutionnistes qui désignent la création de l’état comme la finalité de toute société et la notion rousseauiste de l’innocence naturelle de l’homme. Ce qui va être déterminant dans l’analyse de Pierre Clastres est la mise à jour d’un pouvoir coercitif, inné à toute société humaine, et la volonté des peuples primitifs de s’en préserver à tout prix pour conserver leur autonomie. Ces sociétés sont donc des communautés indivisées obéissant toutes à la même logique centrifuge refusant l’émergence de l’état en étant dans une logique de guerre permanente. La société primitive est donc conçue comme une structure empêchant l’apparition de tout pouvoir despotique ou autoritaire.
De plus, au sein même de ces sociétés, les chefs de clans n’ont aucun pouvoir particulier, ne possèdent que le strict minimum et jouent avant tout un rôle de médiateur en cas de conflit au sein du groupe. Opposant les grandes civilisations andines aux multiples tribus amazoniennes morcelées, il met à jour la volonté de ces petites chefferies d’empêcher la transformation du prestige du chef en pouvoir. Plus que des sociétés anarchistes, ces sociétés primitives seraient plutôt construites comme des structures empêchant l’émergence d’un pouvoir étatique et ne témoignent en aucun cas d’un retard d’évolution. Si elles n’ont pas d’état, c’est avant tout parce qu’elles n’en veulent pas et s’organisent de manière guerrière afin d’empêcher son apparition. Pierre Clastres s’oppose donc aux interprétations marxistes et structuralistes de la guerre.
L’omniprésence de la guerre est le moyen le plus efficace et le plus immédiat pour repousser la fusion politique et empêcher la délégation d’un pouvoir qui mènerait obligatoirement sur le long terme à la disparition de ces multiples cellules indépendantes. La société primitive annule la différenciation économique par l’interdiction de tout surplus matériel ou alimentaire, rappelons que ces groupes de chasseurs-cueilleurs ont l’interdiction de manger eux-mêmes le fruit de leur chasse et doivent le donner aux autres membres de la communauté, tout autant que la différenciation politique puisque elle refuse d’octroyer tout pouvoir à ses chefs.
En raison de ce double refus de la division sociale et de la dépendance, la société primitive s’oppose donc à l’émergence de l’état puisqu’il est l’organe séparé du pouvoir politique. Avec l’apparition de l’état, la société n’est plus indivisée mais devient une constellation où des dépendances se mettent en place entre ceux qui exercent le pouvoir et ceux qui le subissent.
La société primitive n’est pas une société sans état, mais pour reprendre une expression chère à Pierre Clastres, une « société contre l’état ».