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La vie révolutionnaire d'un "Platon noir"

Essai, 2016
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La vie révolutionnaire d'un "Platon noir"

C. L. R. James

 

Matthieu RENAULT

« Il était proprement fascinant de voir à quel point les spectateurs américains,

d'un bout à l'autre du pays, trouvaient l'Othello de Shakespeare actuel,

douloureusement évident dans sa représentation du mal, de l'innocence,

de la passion, de la dignité et de la noblesse, et actuel par son évocation d'un

affrontement des cultures, des limites de l'hospitalité réservée à celui qui vient

d'une minorité et des conséquences que cela a sur lui. Dans ce contexte,

la jalousie du personnage devient plus vraisemblable, les atteintes à sa

fierté plus compréhensibles, l'effondrement final de son monde personnel,

individuel, d'autant plus inévitable. Mais, au-delà de la tragédie personnelle,

la terrible agonie d'Othello, la perte irrémédiable de son monde, la destruction

complète des valeurs auxquelles il croyait et qu'il jugeait sacrées, tout cela indique

l'effondrement d'un univers. »

Paul Robeson, « Some reflections on Othello and the nature of our time » (1945)

 

Né en 1901 sur l’île de Trinidad, Cyril Lionel Robert James est une figure majeure de l’histoire intellectuelle et politique du XXe siècle. Au-delà de son livre Les Jacobins noirs, il est l’auteur d’une œuvre foisonnante qui nourrit les pensées critiques contemporaines.

Qui, en France, connaît C. L. R. James ? Né en 1901 à Trinidad, alors colonie de la Couronne britannique, et mort à Londres en 1989, celui que le Times dénomma à la fin de sa vie le « Platon noir de notre génération » est pourtant une figure intellectuelle et politique majeure d’un siècle qu’il aura traversé presque de part en part.

Intellectuel diasporique par excellence, militant panafricain de la première heure, James a pris part aux grands mouvements de décolonisation de son temps en Afrique et dans la Caraïbe et fut un acteur de premier plan des luttes noires aux États-Unis.

Fervent partisan de Trotski avant de rompre avec l’héritage de ce dernier pour défendre la thèse de l’auto-émancipation des masses ouvrières-populaires, James eut un destin étroitement imbriqué dans celui du marxisme au XXe siècle. Pour ce « marxiste noir », révolution socialiste et luttes anticoloniales-antiracistes étaient intimement enchevêtrées : elles s’inscrivaient dans l’horizon d’une « révolution mondiale » dont la source et le centre ne pouvaient plus être la seule Europe. C’est à celle-ci que James s’est voué corps et âme pendant plus de cinq décennies, débattant et collaborant avec ses contemporains aux quatre coins du monde.

Dans une conjoncture où la gauche radicale éprouve de grandes difficultés à renouveler ses stratégies face aux revendications des minorités non blanches et où la critique de l’eurocentrisme bat de l’aile, méditer la vie et l’œuvre de James pourrait se révéler essentiel dans la tâche de construction d’une pensée de l’émancipation qui soit, enfin, à la mesure du monde.